2006

De l’inimitié: Forme et symbolisme de la guèrre indigène

por Carlos Fausto

Au contraire d’autres pays d’Amérique, il n’est pas encore question d’étonnement par rapport à une “célébration” ou une “découverte”. Depuis le XVIIIe siècle (i.e. depuis au moins l’Histoire du Brésil du religieux Vicente Salvador), nous racontons une même histoire sur une terre vierge qui a été exploitée et peuplée par ceux qui l’ont découverte. Ces thèmes – vierge, exploitée, découverte, peuplée -, si courants dans l’historiographie, expriment un mode de relation de la société coloniale, et ensuite nationale, envers les habitants originels de ce pays. Les peuples indigènes ne sont jamais vus comme des sujets, mais toujours comme une composante du paysage qu’il faut dominer. Dans la perspective de la découverte, le Brésil était un vide fait de roches, fleuves, plantes, animaux et Indiens.

Le mot découverte occupe donc la place d’un autre terme, plus fort et plus direct, qu’on n’a pas l’habitude d’employer: celui de conquête. Les terres qui deviendraient le territoire du Brésil ont été conquises aux peuples indigènes, elles ont d’abord été dépeuplées avant d’être repeuplées[1]. La population du Brésil en 1819, à la veille de l’indépendance, était probablement inférieure à celle des indigènes trois cents ans auparavant[2]. Pour rester fidèles aux faits, donc, il faudrait parler du cinquième centenaire du début de la Conquête, du dépeuplement et du repeuplement du Brésil, une date à fêter non pas pour la célébrer, mais pour en garder la mémoire et la soumettre à une réflexion critique.

INTRODUCTION

Ces remarques initiales n’ont pas un simple caractère politique, puisque leurs dédoublements sont, disons, scientifiques. Lorsque nous parlons de guerre indigène en Amérique du Sud tropicale, nous devons considérer sa variabilité dans le temps et dans l’espace. Tenir compte du contexte et de l’époque où elle a été observée et rapportée, aussi bien que de la nature et de la qualité des sources. Cela signifie, entre autres, qu’il faut garder à l’esprit le fait que la guerre indigène telle que nous la connaissons historiquement est ancrée dans un processus de conquête et de colonisation aux proportions monumentales. Monumentales non seulement en raison de l’étendue des terres concernées, mais aussi en raison de la brutalité des effets socio- démographiques.

Le processus colonial a rapidement modifié les conditions dans lesquelles vivaient les populations amérindiennes. Les systèmes sociaux natifs furent affectés par la guerre et par le troc, par les maladies comme la vérole, la rougeole et la grippe, et par le catéchisme missionnaire[3]. Un nouveau monde d’objets et de relations fut introduit: des objets d’une efficacité insoupçonnée, comme les haches en métal, ou d’une grande valeur symbolique, comme les perles de verre, des rapports ordinaires du colonialisme inconnus des Indiens, comme ceux entre le maître et l’esclave, le prêtre et le fidèle, ou le gérant et le géré. Dans ce cadre complexe de transformations, parler de guerre indigène au singulier représente, donc, un risque. L’impact de la colonisation sur les pratiques bellicistes natives a été important, diffus, long, mais aussi variable selon les endroits et les époques – parfois intensifiant les conflits, parfois menant à l’affrontement pour la conquête territoriale, d’autres fois encore conduisant à la formation de systèmes interethniques pacifiques. Au long de ces cinq cents ans, des guerres de résistance ont eu lieu; certaines étaient motivées par la capture d’ennemis à échanger contre des instruments en métal auprès des Blancs; d’autres ont résultées de la fuite des populations; d’autres encore, poussées par des valeurs “traditionnelles”, ont eu lieu dans des contextes qui n’étaient plus socio-démographiquement “traditionnels”[4]. De quelles guerres, donc, serions-nous en train de parler? Est­ ce possible de les conceptualiser en un seul et même phénomène? Y a-t-il quelque chose de spécifique qui nous permette deles faire entrer dans une même catégorie?

L’ILLUSION ARCHAÏQUE

Pour la pensée politique européenne des XVIIe et XVIIIe siècles, il était évident que le bellicisme amérindien manifestait un type général, non seulement de guerre, mais aussi de société: “On pensera peut-être, écrit Hobbes dans Léviathan, qu’il n’y a jamais eu un temps, ni un état de guerre comme celui-ci; et je crois qu’il ne fut jamais comme cela, de façon générale, dans le monde entier. Mais il y a plusieurs endroits où on vit comme cela, actuellement. Car les peuples sauvages dans plusieurs endroits d’Amérique [… ] ne possèdent guère de gouvernement et vivent, aujourd’hui, de cette façon animalière, à laquelle j’ai fait allusion ci-dessus” (Hobbes [1651], 1952, pp. 85-86).

Les sauvages d’Amérique, des gens “sans foi, sans loi, sans roi”, pour reprendre la célèbre formule du chroniqueur Pero de Magalhães Gandavo des années 1570, sont devenus les représentants d’une ante­ (et anti-) société civile, modèle d’un état archaïque de l’humanité, antérieur à la polis et à l’État. Les Amérindiens, nos contemporains, ne seraient jamais nos égaux: ils partageraient avec nous le temps, mais pas le même moment d’un processus civilisateur. Tout voyage dans l’espace, de l’Europe aux Amériques, serait également un voyage dans le temps, un retour vers le passé, notre propre passé, et le passé de l’homme. Une retrouvaille sinon avec l’instant de l’instauration de la culture, du moins un regard sur les formes élémentaires de la vie sociale.

Lévi-Strauss, lecteur de Rousseau, lors de l’élaboration de son expérience de voyage dans l’arrière-pays brésilien, nous parlait de l’importance de cette rencontre: “L’étude de ces sauvages nous apporte autre chose que la révélation d’un état de nature utopique ou la découverte de la société parfaite au cœur des forêts; elle nous aide à bâtir un modèle théorique de la société humaine, qui ne correspond à aucune réalité observable, mais à l’aide duquel nous parviendrons à démêler”, et là vient la citation de Rousseau, “ce qu’il y a d’originaire et d’artificiei dans la nature actuelle de l’homme et à bien connaître un état qui n’existe plus, qui peut-être n’a point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger notre état présent” (Lévi-Strauss, 1955, p. 353, citation du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité des hommes).

Pour Hobbes, aussi bien que pour Rousseau, il s’agissait de juger “l’état présent” de ces cultures à travers la construction d’un modèle de société et d’homme, en les dépouillant de tout ce qui serait de l’ordre de l’artifice et de la convention. L’homme nu, qui se déplace dans le vide, sans facteurs de distorsion, comme les corps de Galilée. C’est par cette mesure que nous pourrions reformer nos propres habitudes, en faisant face, sans crainte, à la liberté possible où à la peur elle-même, “la vie de l’homme, solitaire, pauvre, sordide, bestiale et breve” (Hobbes [1651], 1952, p. 85).

C’est pourquoi la guerre entre les “peuples sauvages d’Amérique” allait causer à la fois de l’intérêt et de la perturbation à des générations d’anthropologues. Si ces peuples sont pris comme base de nos repères, que faire si nous y retrouvons non pas la figure de la liberté mais, au contraire, celle de la violence; non pas l’amitié générale, mais plutôt l’inimitié également générale?

LA QUERELLE YANOMAMI

A la fin des années 1960, l’anthropologie a cru avoir retrouvé le Sauvage américain en chair et en os, qui semblait avoir disparu de la “condition naturelle”: “Il y a une grande tribu d’lndiens de la forêt tropicale, à la frontière entre le Venezuela et le Brésil. Ils sont environ 20 000 personnes, distribuées en 200 à 250 villages très dispersés. Ce sont des horticulteurs, et ils ont vécu, jusqu’à très récemment, isolés de notre type de culture. […] Le fait remarquable de cette tribu, connue sous le nom des Yanomamö, c’est d’avoir réussi à retenir, grâce à son isolement, ses modèles natifs de guerre et d’intégrité politique sans l’interférence du monde extérieur” (Chagnon, 1992, p. 1)

C’était le début de l’ethnographie de Napoléon Chagnon, publiée originellement en 1968, et qui serait le livre le plus vendu et en même temps le plus polémique de l’ethnologie américaniste. Il s’intitulait Yanomami: le peuple féroce, et décrivait une société sans gouvernement, vivant dans un état chronique de guerre. C’est une image à laquelle Clastres souscrirait dix ans plus tard, dans un de ses derniers et sans doute plus brillants textes: “A ce titre, la situation des Yanomami amazoniens est unique: leur isolement séculaire a permis à ces Indiens, sans aucun doute la dernière grande société primitive, de vivre jusqu’à présent comme si l’Amérique n’avait pas été découverte. Aussi peut-on y observer l’omniprésence de la guerre” (Clastres, 1977, p. 141).

Comment expliquer cette omniprésence dans une société égalitaire, qui vit groupée en petits villages clairsemés sur une immense étendue de forêt? Pourquoi le bellicisme serait-il à ce point dominant là ou la densité démographique était au plus bas, la disponibilité de terres au plus haut et la société indivise: sans classes, propriété privée, ni dominants et dominés? Hobbes aurait-il eu la bonne intuition lorsqu’il imaginait l’Amérique comme le lieu de la guerre de tous contre tous, de l’état de Warre, dont la nature consisterait moins dans la bataille effective que dans la constante disposition à la lutte?

Je ne veux nullement ici suivre au détail près les différentes réponses données à ces questions. Je n’en souligne que quelques points, en partant du contexte dans lequel a éclos la querelle yanomami: un colloque de l’Association américaine d’anthropologie, qui a eu lieu en 1967, en pleine campagne contre la guerre au Vietnam, comme contribution de la société américaine à la compréhension de son propre bellicisme. Lors de ce colloque, Chagnon a présenté ses données sur les Yanomami et a avancé une hypothèse hobbesienne sur l’état de guerre qu’il avait pu observer sur le terrain. D’après l’auteur, cet état aurait son origine dans l’absence d’institutions politiques capables de réglementer les conflits à l’intérieur des villages pour éviter leur fission. Ce processus de fission, qui finirait par créer un milieu social composé de plusieurs groupes locaux, voisins, indépendants et mutuellement hostiles, ferait de la guerre un besoin pour la préservation de l’autonomie villageoise: “L’aspect critique de l’écologie culturelle, écrit-il, sont les villages voisins et hostiles. C’est l’adaptation à cela, plus qu’à la disponibilité de la terre, qui donne à la société yanomamo son caractère agressif” (Chagnon, 1968, p. 113).

Chagnon, pourtant, ne proposait pas simplement une explication pour l’état chronique de guerre d’un petit peuple perdu dans la forêt tropicale. Elman Service, dans son commentaire sur l’auteur au colloque, dirait que “les Yanomamo semblent […] des sauvages archaïques, nos ancêtres contemporains, en train de réaliser sans obstacles leur destin hobbesien” (1968, p. 160). Pris en tant que fossiles vivants, les Yanomami ont été vite catapultés de la frontière entre le Brésil et le Venezuela pour occuper une place réservée, dans la pensée occidentale, à l’homme dans sa condition naturelle. Alors, leurs guerres n’étaient pas un simple défi voulant valider ou infirmer des théories concurrentes: le sifflement des flèches yanomami résonnait aux oreilles de ceux qui cherchaient une mesure pour “bien juger l’état présent”.

L’identification de la situation contemporaine des Yanomami avec celle des sauvages archaïques a donné le ton de la discussion de l’académie nord-américaine. On a remis en scène le topos de l’homme naturel par une réduction de la société à la nature ou, encore, de raisons socio-historiques à des raisons écologiques ou biologiques. Les adeptes de l’écologie culturelle se sont insurgés contre Chagnon: pour eux la guerre yanomami serait une réponse adaptative à une pénurie matérielle, à une ressource essentielle limitée qui se trouverait dans le domaine de la nature. Si c’était le cas, il ne pourrait s’agir de terres disponibles ou de leur différentiel de productivité, puisque la densité démographique de la région est très basse, le milieu assez homogène et que les conflits ne concernent pas la conquête de territoires. Face à ce cadre, on a soulevé l’hypothèse que la ressource manquante par excellence dans les régions interfluviales de l’Amazonie serait la protéine animale (Gross, 1975), la Warren indigène étant un mécanisme d’adaptation pour l’ajustement de la population à cette ressource. La fonction cachée du bellicisme serait de limiter la croissance démographique et la surexploitation de la chasse, tout en permettant de maximiser les conditions de survie et de bien-être matériel (Harris, 1979; 1984)[5].

La réponse de Chagnon (1988) au défi posé par le modèle de Harris exprime nettement la tendance à la naturalisation suivie par la discussion. Le fait de passer de l’explication par l’absence (de mécanismes politiques d’arbitrage) à une autre explication, positive cette fois, nous conduit du politique au naturel et nous amène à épouser un modèle socio-biologique. Les conflits interindividuels, qui se trouvent à la base des processus de fission et, donc, des hostilités entre villages, seraient dus aux disputes pour les femmes ou, plus exactement, pour les ressources reproductives. Le comportement violent aurait été renforcé dans la société yanomami du fait qu’il serait un moyen d’obtention de succès reproductif: des hommes ayant un statut de tueur auraient plus de chances de transmettre leur pool génétique aux générations futures. L’état de guerre surgit, donc, comme conséquence du mécanisme de sélection naturelle, en œuvre au niveau de l’héritage génétique[6].

Les deux modèles – écologie culturelle et sociobiologie – ont recours à l’ordre naturel pour expliquer la guerre indigène dans des conditions, apparemment, “naturelles” et “archaïques”. A partir des années 1990 pourtant, on a commencé à démonter le mythe des Yanomami comme ancêtres contemporains, en leur accordant une existence dans l’histoire ou, plus précisément, dans une histoire spécifique: celle de la conquête et de la colonisation de l’Amérique. La Warre indigène émergerait comme sous-produit de l’expansion de sociétés avec État sur des régions occupées par des sociétés sans État (Ferguson et Whitehead, 1992). La guerre yanomami serait la conséquence de l’introduction d’outils en métal, qui auraient explicitement altéré l’économie et la politique indigènes. Les conflits armés auraient éclos en fonction du besoin de contrôler la circulation et l’apport de cette ressource critique, dont la disponibilité est limitée et l’origine extérieure (Ferguson, 1990).

Cette hypothèse a une implication rétroactive; à savoir qu’avant l’entrée des instruments en métal, la guerre serait “limitée voire même inexistante parmi les communautés yanomami” (Ferguson, 1995, 75). Vraie ou non, il s’agit d’une question de fait, qui ne pourrait être tranchée que par de nouvelles données empiriques. Elle contient, pourtant, une implication politico-morale, à savoir que l’état de guerre chronique ne serait pas “l’expression de la culture yanomami”, mais le “produit de situations historiques déterminées” (Ferguson, 1995, p. 6). Les Yanomami post-Conquête sont historicisés aux dépens d’une essentialisation des Yanomami pré-Conquête, porteurs d’une culture originelle qui excluait la guerre. Cet état archaïque, qui n’a jamais fait l’objet d’observation ni de récits, est en dehors de l’histoire, puisque l’histoire ne touche les Yanomami qu’après l’arrivée des Européens[7]. 1. L’hypothèse de Ferguson préserve, donc, un espace naturalisé, qui nous permet de distinguer, comme dirait Rousseau, “ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme”. Et, contrairement à Chagnon, il conclut que dans cet endroit il n’y a pas de guerre, ou du moins il n’y a pas d’état de guerre.

Le charme de la philosophie politique contractuelle continue à avoir des effets et à hanter l’anthropologie. Les Amérindiens sont toujours appelés à représenter l’état de nature qui serait notre point de départ à tous. Les discussions contemporaines insistent à créer un mouvement pendulaire entre les images de la bonté naturelle et de la violence innée comme si elles n’étaient pas liées, comme si l’une n’impliquait pas l’autre. Encore qu’également emmêlée dans les questions contractuelles, la réflexion anthropologique sur la guerre n’a pas été, dans le contexte français, marquée par la même tendance à la naturalisation que ce que nous observons dans le milieu académique nord-américain. Tout au contraire, elle s’est développée sur deux versants: d’un côté, vers une repolitisation de la guerre archaïque et de la société archaïque elle-même; de l’autre, vers un privilège de la dimension symbolique et rituelle de la violence. Le premier mouvement est lié au nom de Pierre Clastres; le deuxième, à celui de Lévi­ Strauss ou, plutôt, aux enfants américanistes du structuralisme.

LA POLITIQUE DE LA GUERRE

Pour Clastres, aussi bien que pour l’écologie culturelle américaine ou, finalement, pour toute la réflexion occidentale sur les peuples amérindiens, le signe irréductible de la différence indigène repose sur l’absence d’État. C’est ce grand diviseur – des sociétés avec ou sans État – qui permet d’inclure sous un même concept des processus et des formes sociales diverses. “Sans foi, sans loi, sans roi: ce qu’au XVIe siècle l’Occident disait des Indiens peut s’étendre sans difficulté à toute société primitive. Ce peut être même le critère de distinction: une société est primitive si lui fait défaut le roi, comme source légitime de la loi, c’est-à-dire la machine tatique. Inversement, toute société non primitive est une société à État: peu importe le régime socio­ économique en vigueur” (Clastres, 1974, p. 175).

A la différence de la tradition dominante dans la pensée politique cependant, Clastres ne fera pas des sociétés sans Etat une pré-société civile. Non seulement parce qu’il leur accordera un caractère pleinement social (non-naturel) – ce que l’anthropologie avait d’ailleurs déjà fait -, mais surtout parce qu’il leur restituera la dimension du politique. Pour lui, la communauté archaïque est une politeia au sens fort et non pas une société organisée selon des principes qui seraient en deçà du politique, tels la parenté et le mariage. L’absence d’État ne doit donc pas être pensée comme simple manque, absence, incomplétude. Au-delà de l’absence, Clastres veut voir la réalisation d’une volonté qui est pleinement politique et constitutive de la société archaïque. Désir positif de se maintenir en soi-même, qui est à la fois un désir négatif: le refus de la division dominants et dominés, refus de l’aliénation et de l’Etat.

Ce modèle de société archaïque comme une société contre l’État, à la place d’une société pré-étatique, se construit sur deux piliers de base, qui conduisent Clastres à s’opposer, d’un côté, au marxisme et, de l’autre, au structuralisme. Le premier pilier est une conception déterminée de l’économie archaïque et de son rapport avec le politique. Le deuxième, que Clastres commençait à développer au moment de son déces prématuré, est de l’ordre de la place de la guerre et de l’échange dans les sociétés archaïques.

Le problème de l’économie s’insère dans le même registre que le politique. Clastres veut remplacer le regard négatif sur l’autre face du diviseur, celle des sociétés qui n’ont rien, au travers d’un regard positif. Et, dans le champ de l’économie, cela signifie combattre “l’image ancienne, toujours efficace, de la misère des sauvages” (1978, p. 133) image de peuples technologiquement arriérés, qui vivent en permanence aux limites de la faim, luttant tous les jours pour survire dans un environnement hostile, totalement incapables de produire des excédents; bref, des peuples de simple économie de subsistance.

Clastres remplacera ce topos de pénurie par celui de l’abondance, en étendant à toutes les sociétés archaïques l’argument de l’article célebre de Marshall Sahlins, “La première société de l’abondance” (1968)[8], où il suggérait que la pénurie, loin d’être naturelle et caractéristique des économies de subsistance, était induite par l’économie de marché, laquelle produit infiniment de nouveaux besoins. En analysant le peu de temps de travail consacré à la subsistance dans certaines sociétés de chasse-cueillette, Sahlins les présentait comme des sociétés affluentes, car capables de consacrer plus de temps au loisir qu’au travail. Affluence ici ne signifie pas richesse, mais liberté, liberté de disposer du temps à d’autres fins que la production de biens. La positivité de I’économie archaïque est, donc, aussi un refus: refus du travail (aliéné) et, par conséquent, de l’inégalité.

En retournant l’image de l’absence archaïque, Sahlins voulait se libérer du déterminisme de l’écologie culturelle nord-américaine pour affirmer ensuite une autonomie du culturel face à l’économique. Clastres, à son tour, emploie le même argument pour combattre le marxisme français et affirmer la prédominance du politique sur l’économique. Ce n’est qu’en tant que société affluente et libre, non­déterminée par l’économie, que la politeia sauvage peut affirmer son telos et refuser la tentation du Un, en s’affirmant contre le Léviathan. Clastres n’arrivera à dessiner le contour du mécanisme politique de ce refus qu’à la fin de sa vie, avec une reprise de Hobbes (encore que pour le subvertir). La guerre apparaîtra ainsi comme un état pré-social hobbesien, comme fait universel de la société primitive, sans lequel cette dernière ne pourrait être pensée. C’est simultanément une structure et une visée, un mécanisme sociologique puissant et une finalité constitutive: “Les sociétés primitives, dit Clastres, sont des sociétés violentes, leur être social est un être-pour-la-guerre” (1977, p. 139).

En mettant la guerre au centre de la définition de société archaïque qui, comme nous I’avons vu, était une société du loisir et de l’égalité, Clastres déstabilise I’opposition constitutive de la réflexion occidentale sur les peuples extra-occidentaux. Cela confirme à la fois la liberté et la violence, le bon sauvage et le barbare cannibale. Cela construit l’image positive d’une société qui refuse le travail, l’inégalité et l’assujettissement, mais fait de la guerre une condition nécessaire de son existence. “La permanence de la société primitive passe par la permanence de l’état de guerre” (Clastres, 1977, p. 168), puisque c’est cet état qui garantit la dispersion et I’autonomie des unités sociales, qui empêche son unification, sa réduction à un pouvoir centralisé extérieur à la société même. La guerre ne surgit donc plus comme pure négativité, comme chez Hobbes, mais comme positivité négative (voir R; Fausto, 1987), affirmation d’un refus à l’aliénation du pouvoir.

A la question: “Qu’est-ce que la société primitive ?”, Clastres répond:

C’est une multiplicité de communautés indivisées qui obéissent toutes à une même logique du centrifuge. Quelle institution à la fois exprime et garantit la permanence de cette logique? C’est la guerre, en tant que vérité des relations entre les communautés, comme principal moyen sociologique de promouvoir la force centrifuge de la dispersion contre la force centripète de l’unification […]. Plus il y a de guerre, moins il y a d’unification et le meilleur ennemi de l’État, c’est la guerre. La société primitive, c’est une société contre l’État en tant qu’elle est une société­ pour-la-guerre (Clastres, 1977, p. 171).

Par I’affirmation de la guerre comme fondement de la société archaïque, Clastres non seulement accepte Hobbes pour le combattre, mais s’atraque à une autre tradition qui faisait de I’échange le fondement de la sociabilité pré-moderne. Je fais allusion à la tradition inaugurée par l’Essai sur le don de Marcel Mauss, publiée originairement en 1924.

LE CONTRAT-DON

A travers l’étude des formes archaïques de contrat, Mauss s’est concentré sur des actes apparemment simples et liés entre eux donner, recevoir et rétribuer – qui, sous l’apparence d’être volontaires, étaient en fait obligatoires et constituaient le noyau de toute une morale et de toute une économie; l’économie du don, dans laquelle les échanges lient des sujets en tant que sujets par le moyen d’objets. Dans son essai, Mauss cherche à comprendre où se situe le caractère obligatoire de donner, recevoir et rétribuer. lci, ce n’est que le premier acte qui nous intéresse: qu’est-ce qui contraint les gens dans les sociétés archaïques à offrir un cadeau qui paraisse volontaire ou gratuit? La réponse surgit clairement à la fin de l’essai: “Dans toutes les sociétés qui nous ont précédés immédiatement et qui nous entourent encore [… ] il n’y a pas de moyen terme: se confier ou se défier entièrement; déposer les armes et renoncer à leur magie, ou tout donner: depuis l’hospitalité fugace jusqu’aux femmes et aux biens. C’est dans des états de ce genre que les hommes ont renoncé à leur quant-à-soi et ont appris à s’engager, à donner et à recevoir” (Mauss, [1924], 1960, p. 277). Et, un peu plus loin, Mauss ajoute: “C’est en opposant la raison au sentiment, c’est en posant la volonté de paix contre de brusques accès de folie de ce genre, que les peuples réussissent à substituer l’alliance, le don et le commerce à la guerre, à l’isolement et à la stagnation” (Mauss, [1924], 1960, p. 278).

Le contrat social par excellence, qui a remplacé l’état de guerre ou d’isolement, n’est pas cette mutuelle renonciation fondatrice du Léviathan, mais le don lui-même. L’autre de la guerre n’est donc pas l’État, mais une forme d’échange, qui est le fondement et le ciment de toutes les sociétés qui nous ont précédés et qui nous entourent encore. L échange-don est le principe de constitution et d’existence des sociétés archaïques[9]. C’est contre cette conception que Clastres affirmera le caractère essentiel et constitutif de la guerre dans les sociétés archaïques, en critiquant Lévi-Strauss, héritier hétérodoxe de Mauss, pour la voir uniquement en tant que négatif du don, comme échec, comme échange échoué (Clastres, 1982, p. 192). Pour Clastres, la logique du don est une logique de l’identité, tandis que la logique de la guerre est une logique de la différence, du refus de l’identification de l’un envers l’autre. C’est ce refus qui garantirait la multiplicité et l’autonomie de communautés archaïques.

La critique dirigée contre Lévi-Strauss se concentre, pourtant, sur un seul élément de la réflexion structuraliste sur la guerre archaïque, celui qui la transforme en simple interface de l’échange et de la sociabilité, sans lui accorder de valeur positive. En fait, il y a un autre mouvement dans la pensée de Lévi-Strauss, peut-être plus profond et avec un développement empirique plus important, qui consiste justement à faire l’opération inverse: il ne s’agirait pas de penser la guerre comme un négatif de l’échange, mais comme un échange. En d’autres termes, la guerre, jadis négatif pur, est positivée par son identification avec l’échange, par sa subsomption au principe de réciprocité qui a une valeur de vrai principe transcendantal dans le structuralisme, i.e. il énonce une condition générale et a priori de toute expérience humaine en y incluant la guerre.

Lévi-Strauss, dans un article appelé “Guerre et commerce entre les Indiens d’Amérique du Sud”, publié originalement en portugais, en 1942, lorsqu’il nous parle de la “place essentielle” que les rites anthropophagiques occupaient dans la culture tupinamba, observe

qu’une image bien différente de l’activité de guerre s’ébauche à ttavers la lecture des reuvres anciennes: non plus uniquement négative, mais positive; non pas en trahissant forcément un déséquilibre dans les rapports entre les groupes et une crise, mais en fournissant, au contraire, le moyen régulier consacré à assurer le fonctionnement des institutions; en opposant, certainement, psychologique et physiquement, les diverses tribus; mais, en même temps, en établissant entre elles le lien inconscient de l’échange, sans doute involontaire, mais en tout cas inévitable, des aides réciproques essentielles au maintien de la culture. [Lévi-Strauss (1942), 1976, p. 327]

La guerre tupinamba n’apparaît pas dans cet extrait comme le négatif de l’échange, mais comme l’expression de l’échange; cependant pas de n’importe quel échange, mais de l’Échange en tant que principe transcendantal, et non pas en tant qu’institution empirique. Alors, les “choses échangées” n’intéressent pas: des corps morts ou vivants, des femmes données ou enlevées, des objets offerts ou pris, des mots d’amitié ou d’inimitié. Dans le fondement de tous ces actes, nous retrouvons un même principe d’indentification du moi envers l’autre.

“Il sera difficile de comprendre, écrit Lévi-Strauss, que le cannibalisme se manifeste si souvent sous une forme instable et nuancée sans reconnaître un arrière-plan où l’identification à autrui joue un rôle. On rejoint par là une hypothèse centrale de Rousseau sur l’origine de la sociabilité: une hypothèse plus solide et plus féconde que celle des ethnologues contemporains qui, pour expliquer le cannibalisme et d’autres conduites, font appel à un instinct d’agression” (Lévi-Strauss, 1984, p. 143).

Mais que signifie voir la guerre indigène comme échange, comme expression d’un principe inconscient qui fonde la sociabilité humaine? Comment cette opération s’inscrit-elle dans nos questions théoriques et éthico-politiques? Comment se manifeste-t-elle dans nos descriptions ethnographiques?

Pour répondre, il convientde s’approcher un peu plus près des contextes ethnographiques du continent sud-américain.

LA GUERRE COMME ÉCHANGE

L’importance du phénomène de la guerre dans les terres basses de l’Amérique du Sud n’a pas seulement à voir avec le fait que nous ayons mesuré, depuis au moins Montaigne, notre propre société à l’aide d’une image des Amérindiens. La guerre est un thème important parce que de fait récurrent, symboliquement prégnant et sociologiquement structurant dans la région. Là où il n’y a pas eu une rupture complète des réseaux plus vastes de relations, fruit du long processus de conquête et de colonisation, nous trouvons des systèmes sociaux aux frontières plus ou moins définies, formés par une multiplicité de groupes locaux. Dans quelques-uns de ces systèmes, comme c’est le cas dans le Haut Xingu et le haut fleuve Negro, les rapports pacifiques d’échange – économique, matrimonial, rituel – se présentent comme des articulateurs non seulement de réseaux plus vastes de sociabilité, mais aussi de groupes en tant que tels entre eux. Dans d’autres cas, cependant, ce sont les rapports d’hostilité qui semblent jouer, ou avoir joué, ce rôle. Les pratiques guerrières – qui incluent souvent cannibalisme et chasse aux trophées – apparaissent comme des dispositifs de structuration de ces formations sociales. Il se pose alors un problème théorique important: comment appréhender des systèmes qui se structurent sur un mode de rapport qui semble être la négation même du rapport social?

Nous avons vu quelle était la réponse de Clastres à la question. Or, elle diffère de celle adoptée par la majeure partie des ethnologues américanistes de tradition structuraliste, qui ont eu tendance, implicitement ou explicitement, à identifier purement et simplement guerre et échange. Tout se passerait comme si le fait de penser la guerre comme forme positive de rapports impliquait, forcément, sa réduction à une modalité d’échange – “échange de violences”, “échange de corps”, “échange de vengeance”, “échange d’énergie” – conçue dans le contexte amazonien, univers de l’échange symétrique, comme réciprocité équilibrée.

Permettez-moi d’illustrer ce point en citant Jacques Lizot qui réfute l’hypothèse socio-biologique de Chagnon sur la guerre yanomami. Lizot conclut son texte dans ces termes: “L’échange et la réciprocité, sous des formes multiples, à différents niveaux, constituent le tissu des relations sociales et politiques yanomami, et un faisceau d’indices convergents parait indiquer que la réciprocité équilibrée qui fonde les relations pacifiques, la violence et la guerre, constitue deux modalités complémentaires, mais inséparables, de l’échange pris dans le sens le plus général” (1989, p. 109). Et un peu plus loin: “Nous croyons que la réciprocité équilibrée en temps de paix, de violence et de guerre, se situe à l’intérieur d’une structure unique et que la totalité des échanges (pacifiques ou violents) s’effectue dans le cadre d’un vaste système de communication où se règle l’ensemble des rapports sociaux et politiques” (1989, p. 110).

Dans ces extraits, la guerre et l’échange apparaissent comme une partie d’une même structure régulatrice des rapports entre groupes. Tous les deux sont des manifestations empiriques complémentaires de l’échange, dit Lizot, en son sens le plus général i.e. comme principe transcendantal, et non pas comme institution empirique. II ne me semble pas difficile d’admettre qu’aussi bien la guerre que l’échange soient des modalités de rapport, et qu’ils fassent partie d’un système de communication plus vaste qui organise les réseaux sociaux yanomami (ceei, d’ailleurs, est l’un des points de départ de ce texte). Cependant, il me semble douteux que nous puissions prendre l’échange comme modele du rapport guerrier, de façon à identifier le deuxième au premier, soit au niveau du modèle, soit sur le plan de l’expérience. D’un point de vue strictement structurel, ce deuxième plan aurait très peu d’importance, étant donné que la subjectivité se trouve exclue d’emblée de l’analyse. Cependant, il n’est pas rare que les descriptions ethnographiques transitent d’un niveau à l’autre. De cette façon, par exemple, Lizot affirmerait dans un texte plus récent que la paix et la guerre “ne sont pas perçues comme antithétiques, mais comme des expressions similaires de l’échange et de la réciprocité: rien d’autre que deux modalités” (Lizot, 1994, p. 232, je souligne). Encore que je ne sois pas en condition de discuter comment les Yanomami perçoivent la guerre – surtout devant le si profond connaisseur de ce peuple qu’est Lizot -, il me semble imprudent d’évacuer, sur le plan phénoménologique, la contradiction entre guerre et paix par subsomption des deux à la réciprocité.

Une partie du problème repose, encore une fois, sur la manière dont nous devons affronter nos fantasmes et les conséquences politiques de nos écrits. Tout se passe comme si l’identification de la guerre à l’échange résolvait la question éthico-politique posée par la violence armée entre les Yanomami; comme si le fait d’affirmer que la guerre c’est l’échange, et l’échange c’est un rapport social, suffisait pour neutraliser le problème. La violence et la destruction sont en soi des thèmes de représentation ethnographique difficile, qui tendent, en plus, à déborder largerment le contexte académique. Par prudence politique, les anthropologues ont l’habitude d’éluder les contenus les plus destructeurs de la vie sociale indigène, ce que le discours de la réciprocité permet de faire par rapport à la guerre[10]. Or, lorsqu’on traite le phénomène avec une certaine asepsie – justifiée dans notre contexte colonial -, ce discours nous apporte quelques difficultés d’ordre théorique et ethnographique. Le passage sans médiation de la guerre à l’échange tend à vider la dimension politique de la guerre, à obscurcir sa phénoménologie et à annuler le champ du sujet. En voici quelques illustrations.

Acceptons de parler de la guerre comme modalité d’échange et prenons comme exemple la guerre de vendetta des Jivaros, un peuple qui habite l’Amazonie péruvienne et équatorienne. Nous pourrions sans doute la concevoir comme échange de violences comptabilisables et comparables. Lorsque nous réduisons, cependant, ce phénomène à la formule synthétique de l’échange, nous perdons de vue la vérité phénoménologique de la vengeance: tandis que dans l’échange de biens celui qui donne veut recevoir, dans la vengeance, le désir est inversé, le tueur ne veut pas recevoir de paiement en retour (i.e. sa propte mort). Cette non-réciprocité de perspectives a des conséquences politiques importantes puisque, pour éviter la vengeance, la famille et les alliés de l’offenseur abandonnent leurs petits villages pour se retrouver en “maisons de guerre” dont le commandement est confié à un grand homme. C’est précisément dans l’espace temporel qui sépare, disons, “l’échange de morts”, que s’exprime et s’affirme le pouvoir politique du chef (Descola, 1993, pp. 319-320).

La temporalité issue de la non-réciprocité de perspectives produit des phénomènes politiques d’ordre différent de ceux qui sont instaurés par le flux pacifique de biens et de personnes. Par l’affirmation que tous deux se réduisent à un même principe de réciprocité, nous voilons non seulement cette dimension temporelle (voir Bourdieu, 1980, pp. 167-189), mais aussi la direction différentielle des actes qui constituent l’échange et la guerre. Aussi bien le temps que la direction supposent la présence de sujets à perspectives différentes sur les processus en cours. Et nous touchons ici à un problème cher à la philosophie contemporaine, à savoir la dissolution du sujet, que je ne dois – ni ne peux – examiner ici, encore que quelques observations soient nécessaires concernant la construction des objets sociologiques. Le structuralisme est avant tout une théorie relationnelle, qui privilégie les rapports plutôt que les termes de ces rapports. De là dérive sa productivité analytique dans le cas de l’ethnologie sud­américaine, où nous trouvons une grande labilité des frontières entre groupes et une dominance de structures sociales en réseau. Un tel paysage est favorable à la déconstruction du modèle fonctionnaliste, qui tend à prendre chaque point nodal de ce réseau pour un individu collectif qui établit des rapports avec d’autres individus collectifs de même nature. A cette substantialisation des unités sociales, le structuralisme répond avec sa phonémisation, en appliquant à la société ce que la phonologie structurale applique au langage. Tout comme les phonèmes, les objets sociologiques cessent d’avoir une valeur en eux­ mêmes pour acquérir une valeur à l’intérieur d’un système de relations; ils cessent d’être pensés comme des substances pour être conçus comme des faisceaux de relations. La seule perspective légitime devient donc celle du système total, représentée – paradoxalement – par la subjectivité de l’analyste. Sur ce plan, la guerre et I’échange deviennent de simples modalités, encore qu’avec des valences diverses, d’une même structure relationnelle.

Malgré sa puissance, ce modèle de construction des objets laisse un résidu non expliqué. L’expérience humaine subjective, même si elle est illusoire, est une partie constituante de l’objet qu’on veut analyser. Chacun d’entre nous se pense comme un sujet pourvu d’intentions, qui participe de groupes donnés, ou qui peuvent avoir une valeur en soi. Dans ce plan, il n’est pas indifférent que mon groupe occupe en un moment donné la position de victime et nos adversaires celle de bourreaux, même si ces positions peuvent être échangées continuellement et semblent s’annuler sur le plan du système. Mon rapport avec la famille d’un ennemi n’équivaut pas non plus avec celle que je maintiens avec les frères de mon épouse, même si, dans les deux cas, ma position peut être celle d’un débiteur. En d’autres termes, il n’est pas possible de neutraliser les divers points de vue internes au système, même dans une structure acentrique, car le point de vue de chaque nœud du réseau nous dit quelque chose sur les mailles des rapports qui le structurent.

Il faut donc réintroduire dans le modèle même la dífférence phénoménologique entre l’échange et la guerre, sans pour autant abandonner ce que nous a appris le structuralisme; à savoir, que les deux phénomènes s’inscrivent dans un espace de médiation entre groupes et personnes, lieu d’opération d’une dialectique complexe entre extériorité et intériorité, altérité et identité. Dans ce but à la fois novateur et conservateur, je suggère dès maintenant une forme alternative d’approche du problème de la guerre indigène. Je propose que nous commencions à la penser comme partie d’une économie généralisée, comme le suggère Almeida, où les excédants sont des matériaux symboliques, où le contrôle des moyens de production implique le contrôle du surnaturel et où la production concerne non seulement les objets, mais surtout les corps et les personnes (Almeida, 1988, pp. 221-222). Quelle serait la place de la guerre dans cette économie?

LA GUERRE COMME CONSOMMATION PRODUCTIVE

Pour répondre à cette question, je pars de deux propositions bien établies de l’ethnographie régionale pour en proposer une troisième. La première est déjà inclue dans la définition de l’économie généralisée: les systèmes indigènes se retournent de façon primaire vers la production de personnes et de groupes, pas de biens; i.e. le problème n’est pas la fabrication d’objets de valeur ou d’excédents matériels, mais plutôt la fabrication de personnes à travers du travail symbolique-rituel. Les rites de naissance, de nomination, de mariage, de mort, les retraites de la puberté, la couvade, le deuil, les réclusions, les cérémonies de guerre, les interdits post-homicides, etc. sont des formes, plus ou moins publiques, de production de personnes, pour leur accorder singularité, beauté, fertilité et capacité d’interaction avec les puissances extérieures, comme les esprits, les divinités, les êtres de la forêt, les animaux et les ennemis.

La deuxième proposition a affaire à une conception commune dans les cosmologies du continent, par laquelle l’identité et l’intériorité sont associées à l’absence de fertilité et de mouvement, justement ce que le travail symbolique-rituel a pour but de produire. Le “nous”, déterminé par les actes généreux, par la solidarité et par l’absence de prédation, est une sphère idéalement sûre de sociabilité mais, en même temps, c’est un ens incompletum, car il n’est pas conçu comme capable de s’autoreproduire isolément. Chaque unité sociale dépend donc symboliquement du rapport avec ce qui lui est externe et différent pour le développement des capacités créatives de ses membres.

II y a, pourtant, plus d’une manière de définir ce qui est interne et externe, et d’établir une dynamique entre les deux termes. De cette dernière observation, je tire ma troisième proposition, qui concerne les modalités de rapport avec cette altérité constitutive. Je dirai qu’il y a deux schémas de base, qui ne sont pas exclusifs, qui se combinent empiriquement de façons variables, mais donc l’emphase différentielle donne lieu à des formes sociales et cosmologiques différentes. L’un de ces schémas c’est l’échange; l’autre, la prédation (voir Descola 1992). Là ou l’échange prédomine, nous avons la constitution de systèmes plus vastes et ouverts du point de vue sociologique, même s’ils sont plus fermés du point de vue cosmologique. Ce serait, par exemple, le cas de la formation multiethnique du Haut Xingu, dans laquelle les différences internes entre les groupes, liés entre eux par l’échange de biens, de femmes et de rituels, maintiennent le système dans une dynamique. Or, là ou la prédation prédomine, nous avons des formations sociales plus atomisées et dispersées, justement celles que Clastres avait en tête en écrivant sur la guerre. Dans ce cas, la personne idéale n’est pas constituée par la transmission interne et par la confirmation rituelle d’attributs sociaux distinctifs (emblèmes, noms d’ancêtres, prérogatives), mais plutôt par l’acquisition violente de puissance à l’extérieur de la société (sous forme de noms, de chants et d’âmes d’ennemis). Ce type de formation socio-cosmologique se trouverait parmi les Yanomami, les Jivaro, les Tupinamba et encore d’autres groupes amazoniens décrits comme étant prédateurs et guerriers. Dans ce sens, on peut rejoindre Clastres (1982, p. 192) quand il dit que la “guerre” est une structure des sociétés amérindiennes: une forme privilégiée de rapport avec l’extérieur fondée sur certaines représentations, dispositions, formes institutionnelles et pratiques sociales.

Permettez-moi maintenant de rassembler les trois propositions ci­ dessus en une seule formulation, excluant les systèmes les “moins prédateurs”. Quelles économies ai-je en tête finalement? II s’agit d’économies qui produisent des personnes et non pas des objets, qui conçoivent le rapport avec l’extérieur comme étant nécessaire pour la reproduction interne et qui s’articulent avec cet extérieur prioritairement moyennant la prédation. Ou, en d’autres termes, nous avons des économies qui pratiquent la déprédation et s’approprient des choses en dehors des limites du groupe pour reproduire des personnes à l’intérieur de ce groupe. Je suggère que cette appropriation violente, prédatrice et guerrière ne soit pas considérée comme une forme d’échange, mais plutôt comme une consommation productive, concept que j’emprunte à Marx[11]. Mais en quoi cela nous sert-il à proposer un nouveau concept? Qu’est-ce que cela nous apporte de nouveau? Quels faits distinctifs sur la guerre indigène nous permet­ elle de mettre en relief?

Premièrement, ce concept rend évident que nous sommes en face d’une forme de “consommation”, de “dépense” ou de “perte” et non pas simplement de “transfert” ni de “circulation”. Il met en lumière la négativité de la guerre, exprimée par la destruction des personnes dans leurs constituants matériels et immatériels. L’idée de consommation nous renvoie, en plus, à des représentations et à des pratiques natives de la guerre, où les chairs et les noms, les crânes et les âmes sont littéralement ou symboliquement consommés et non pas simplement échangés (n’oublions pas que la métaphore-base de la guerre indigène est la manducation). Deuxièmement, le concept de consommation productive n’est pas seulement négatif, mais aussi positif: la consommation n’est pas seulement perte, mais aussi dépense productive. La mort de l’ennemi donne aux tueurs des corps, des noms, des identités, de nouvelles possibilités d’existence; enfin, la mort de l’autre fertilise la vie du même, c’est du life-giving.

Dans l’articulation entre la consommation et la production, notre concept met au premier plan le mouvement qui unit la prédation à l’extérieur à la production à l’intérieur; i.e. la conversion de la destruction de l’ennemi en production de parenté, que nous pourrions désigner comme un mode de production de personnes moyennant la destruction de personnes. Or, il nous faut encore comprendre comment ce mouvement se conceptualise et se schématise concrètement. C’est-à-dire, que se passe-t-il entre l’expédition guerrière et cette production de personnes dont je parle? Comment s’articule le moment de la mort-consommation avec celui de la vie­ production?

Pour comprendre ce point, je traiterai brievement deux point: le premier concerne le rapport qui s’établit entre le tueur et sa victime, le deuxième porte sur les rituels guerriers.

PRÉDATION FAMILIARISANTE

Dans la pensée indigène, tuer un ennemi n’est pas simplement en finir avec sa vie, causer sa disparition, mais, au contraire, c’est établir un nouveau type de rapport avec ce même ennemi, maintenant mort. Apres l’homicide, le tueur passe par un processus de profonde transformation, qui doit être contrôlée et dirigée par le moyen d’une série de précautions et de prescriptions. Une fois finie la période de retraite des menstrues, le tueur émerge comme un nouvel homme, plus fort et plus créatif, mais en même temps plus dangereux, puisqu’il porte en soi une nouvelle subjectivité: celle de sa victime. J’illustre ce point avec trois exemples ethnographiques.

Le premier d’entre eux fait référence aux Araweté, un groupe tupi­guarani de l’État du Para, qui conçoit la transformation du tueur comme le résultat de la fusion entre son esprit et celui de la victime. L’homicide est une forme de dévoration “ontologique”: le tueur saisit l’esprit de l’ennemi et apprend à le contrôler pendant la retraite. L’opération est délicate, car, des le début, il est pris par la perspective du mort: il assume son point de vue, perd le contrôle de lui-même, veut tuer sa propre famille; il finit cependant par le domestiquer et par le mettre au service de la communauté. Le mort lui transmet de nouveaux chants qui vont faire marcher l’engrenage rituel et de nouveaux noms qui permettront de singulariser ses parems (voir Viveiros de Castro, 1992). Les Curripaco du haut Beuve Negro – c’est mon deuxième exemple – conçoivent de façon similaire le processus, mais ils emploient un support matériel pour représenter cette saisie d’un principe vital de l’ennemi. Ils apportent le fémur de la victime et en font une flûte, qui représente l’appropriation du “souffle” du mort par le tueur. On joue de cette flûte dans des occasions rituelles, la veille des expéditions de guerre et le soir, pour chasser les esprits de la forêt (Journet, 1995, pp. 197-199).

Mon troisième exemple provient d’un groupe avec lequel j’ai travaillé, les Parakanã (Fausto, 1997) qui, contrairement aux Araweté et aux Curripaco, n’établissent pas de rapport direct entre tueur et victime, car ils ne postulent pas l’existence d’un “esprit” à saisir. Ils disent seulement que l’homicide est contaminé par l’odeur du sang du mort et par sa “graisse magique” (-kawahiwa), qui le transforment, à la fois, en être voué à la violence et capable de rêver. Et ce sera donc à travers les rêves que le tueur domestiquera ses ennemis, humains et non humains, qui deviendront ses xerimbabos (i.e. animaux de compagnie), et qui lui permettront d’avoir une vie longue et productive. Productive parce qu’elle recevra de ces ennemis les noms avec lesquels il nommera ses enfants et les chants avec lesquels il conduira le rituel et les cures chamaniques.

Ce qu’il faut retenir ici c’est le type de rapport qui se constitue à travers l’homicide guerrier: le rapport d’inimitié réel se convertit en un rapport symbolique de contrôle. Le tueur arrive à contrôler symboliquement sa victime comme si elle était son animal favori ou son fils adoptif. Et c’est précisément ce lien de contrôle qui le transforme en une personne créative et puissante, mais en même temps ambigue et dangereuse. Il contient une altérité nécessaire à la reproduction sociale, mais qui le transforme en un être instable et enclin à la violence. L’instabilité se lie à l’idée d’une perte du discernement, d’une altération potentielle du point de vue: le tueur peut commencer à voir ses propres parents comme des ennemis.

Ce rapport entre tueur et victime est comparable à celui qui existe entre le chaman et ses esprits auxiliaires. L’opération d’acquisition du pouvoir chamanique est conçue dans les cosmologies indigènes comme une “familiarisation” d’êtres non humains, surtout des esprits d’animaux. Le chaman apprivoise, tout comme le guerrier, des être dotés d’un excédent de capacité créative, en les faisant devenir ses familiers, ses animaux d’estimation (voir Erikson 1987). Or, cette familiarisation est toujours ambivalente: ni les chamans, ni les guerriers ne sont capables de contrôler entièrement ces auxiliaires et, s’ils le faisaient, ils perdraient leur propre pouvoir: un esprit totalement aliéné et contrôlé ne sert à rien. Cette dialectique de contrôle entre seigneur et xerimbabo fait que le statut des chamans et des tueurs dans les sociétés indigènes est ambigu; d’où sans doute la raison pour laquelle, malgré leur prestige, nous trouvons rarement en Amazonie de lieu de pouvoir cristallisant la figure du chef de guerre ou du spécialiste religieux[12]. Chamans et guerriers contrôlent les rapports avec I’altérité, qui sont indispensables à la reproduction de la vie. Cependant, ce contrôle des moyens de production sociale n’est pas fondateur d’une division interne entre seigneurs et sujets.

Lorsque j’associe les positions de chaman et de guerrier, je suggère que les opérations de “domestication” dans le chamanisme et dans la guerre sont de même nature, et qu’elles font toutes partie d’une économie généralisée de production de personnes, axée sur l’appropriation de capacités à I’extérieur du socius. J’ai créé un terme pour parler de ces rapports: prédation familiarisante, la conversion de la prédation en familiarisation, processus par lequel des sujets féroces et d’autres sont consommés et contrôlés pour la production de nouveaux sujets à l’intérieur du groupe. Le rapport modèle du contrôle dans les cosmologies indigènes n’est pas celui du Maître et de l’Esclave – puisque le système n’est pas basé sur I’appropriation du travail pour la production de biens -, mais celui du Seigneur et du Xerimbabo, qui s’exerce pratiquement dans la familiarisation d’animaux et l’enlevement d’enfants étrangers, et symboliquement dans la familiarisation du principe vital de la victime dans la guerre et des esprits d’animaux dans le chamanisme.

Cette notion de prédation familiarisante donc cherche à articuler en un seul mouvement les rapports asymétriques de contrôle symbolique constitués à travers la guerre et le chamanisme. Mon hypothèse est qu’elle fonctionne comme schéma général de reproduction des sociétés indigènes, du moins celle que Clastres avait en tête en écrivant sur la guerre. Mais, pour que ce soit un schéma général, elle ne peut pas se restreindre au rapport privé et particulier entre tueur et victime, ou chaman et esprit auxiliaire. Il faut que la prédation familiarisante ait une inscription publique et collective, qui ne se réalise qu’à travers le rituel.

RlTUELS DE GUERRE

Il y a de nombreux rituels qui pourraient être analysés dans ce contexte. Je n’ai choisi que les plus connus, dans lesquels les victimes de guerre sont représentées par un support physique. Le plus célebre est le festin cannibale tupinamba, qui a peuplé l’imaginaire culturel brésilien depuis le XVIe siècle. Celui-ci est un cas extrême d’appropriation de trophées puisque à la place de morceaux inertes, on apportait des personnes entières et vivantes, transformant en littéralité ce qui n’était jusque-là que symbolique. Pour ceux qui ne connaissent pas le rituel, permettez-moi de reprendre certains points.

Les Tupinamba qui vivaient sur la côte brésilienne au XVIe siècle ont été décrits par les chroniqueurs comme pratiquant une guerre endémique de vengeance, qui n’avait pas pour but le gain matériel, et dont l’objectif central était de prendre des ennemis pour les exécuter et les manger en place publique. La côte, écrivait Anchieta, était peuplée “par des Indiens qui ont pour habitude de manger la chair humaine dans des banquets, en y montrant tant de plaisir et de joie, qu’ils arrivent à marcher plus de trois cents miles pour faire la guerre; ils réduisent en captivité quatre ou cinq ennemis, reviennent sans raison apparente et les mangent lors d’une grande fête avec des chants et de très copieuses libations de vin […] “(Anchieta [1554-94], 1988, p. 55). L’exécution rituelle du captif, cependant, n’était pas immédiate et pouvait prendre plusieurs mois. D’abord il était adopté par la famille de son ravisseur, qui l’alimentait et le protégeait, en lui prêtant une sœur ou une fille comme épouse. Sa condition était celle d’un preneur de femme dans un régime uxorilocal: il était sous le contrôle strict du beau-père et des beaux-frères – situation souvent comparée à celle d’un xerimbabo (voir Viveiros de Castro, 1992, p. 280). Hans Staden raconte que, lors du voyage de retour après sa capture, les guerriers lui disaient: xe remimbaba in dé, “Tu es mon xerimbabo” (Staden [1557], 1974, p. 84). La condition sociale du captif, cependant, changeait la veille de son exécution, où il retrouvait son rôle d’ennemi. On l’attachait, on le séparait de sa “familie d’adoption”, on lui faisait assumer la position de l’ennemi et on le soumettait à un rite de capture. Finalement, on le tuait et on le dévorait. Ce mouvement de prédation et de familiarisation n’était achevé qu’à la fin de la retraite, quand l’exécuteur proférait son nouveau nom. Or, nous savons que le tueur n’était pas le seul à acquérir ces noms. Il en allait de même pour ses femmes, pour ceux qui faisaient prisonnier l’ennemi au terme du combat ou ceux qui le capturaient lors de la mise en scène précédant le massacre (Staden, [1557], 1974, p. 170;Abbeville [1614], 1975, p. 231).

La machine rituelle voulait rendre publique et socialiser l’homicide, en transférant l’acte isolé du champ de bataille vers la sphère collective. Mais pourquoi faire? D’après les chroniqueurs, l’exécution était liée à la nomination, au mariage et au destin posthume; i.e. à la singularisation des personnes, leur reproduction et leur permanence. Ce sont des aspects récurrents des systèmes guerriers amérindiens et ils se relient à un thème qui, même s’il est peu développé dans l’anthropophagie tupi­guarani, ne doit pas être oublié: le pouvoir génésique de l’homicide, sa fonction de fertilisation. Plusieurs rituels, avec ou sans anthropophagie et chasse aux trophées, sont génératifs au sens large, i.e. sont life-giving, à la manière des rites qui visent à garantir l’abondance de la chasse ou la poussée des plantes cultivées. Son objet, pourtant, n’est pas la production d’aliments, mais de personnes. Ce caractère s’exprime comme développernent des capacités créatives des tueurs, comme production de nouveaux sujets à travers la nomination, où encore comme reproduction physique, puisqu’on suppose que certains de ces rites agissent directement sur la fertilité féminine.

La symbolique génésique apparaît, par exemple, dans le cycle des têtes munduruku. Le rituel était divisé en trois parties. Dans la première, la tête était introduite dans le clan du tueur, qui devait décorer le trophée avec des atouts spécifiques de sa lignée agnatique. Le rite marquait le début de la réclusion du maître de la tête et sa condition de “Mère du Pécari”, i.e. propitiateur de la chasse. Pendant la saison des pluies avait lieu une deuxième partie du rituel dans laquelle la tête était cuite et tondue. L’année suivante, le cycle se complétait, quand les dents du trophée étaient enlevées et alignées sur une ceinture de coton. Lors de la fête, on mettait en scène le thème du retour à l’inimitié et de la nouvelle capture, comme chez les Tupinamba: des jeunes gens peints et tonsurés couraient dans les bois pour y être arrêtés et reconduits par des adultes de la moitié opposée. Après cette mise en scène, commençait la célébration qui clôturait la réclusion de l’homicide (Murphy, 1958, pp. 53-58). Les pouvoirs de la tête et du tueur ne se limitaient pas à la fertilisation de la chasse: le trophée était associé à la reproduction physique du groupe (i.e. à l’obtention d’enfants) et au renouvellement du mouvement guerrier, puisqu’on supposait que la ceinture de dents augmentait les chances du porteur d’obtenir de nouvelles victimes (Menget, 1993, pp. 314, 320). Le rituel avait deux issues – des nouvelles vies et des nouvelles morts -, puisque la dernière inaugurait un nouveau cycle. Ce même ensemble de significations peut être trouvé dans les rituels de chasse de têtes jivaro, dont le cycle était composé de deux parties principales. La première avait lieu juste après le retour de l’expédition, et s’appelait numpenk (“son propre sang”). Pendant la fête, on aspergeait de sang d’oiseau la partie interne des cuisses des homicides, tandis que les femmes chantaient, ce qui thématisait cette fiction des règles (Taylor, 1994, p. 82). Le rituel, qui inaugurait la réclusion du tueur et introduisait dans le groupe la tête, était équivalent à une puberté masculine, et visait le développement des capacités reproductrices des coupeurs de tête. II représentait aussi la familiarisation de la tête à son nouvel espace social, à sa “terre d’adoption” (Descola, 1993, p. 305). Un an après avait lieu la deuxième partie du cycle cérémoniel, qui clôturait le processus de transformation­ maturation du tueur et de la tête, qui avait été initié après l’homicide. Le processus de familiarisation du trophée débouchait dans sa transformation en “enfant” du groupe du tueur – son destin final était celui de fœtus, “un visage collé dans le ventre de la femme” (Taylor, 1994, p. 96). Le processus qui avait commencé avec la figuration d’une puberté masculine se complétait avec la production de nouvelles vies.

II n’y a pas que le tueur et le trophée qui se transforment entre le début et la fin de ces rituels guerriers. Le travail symbolique s’étend à la collectivité même.[13] L’objet-trophée est approprié par le groupe, collectivisant ainsi les effets de la destruction de l’ennemi. Dans le rituel, le mouvement de la guerre acquiert un caractère éminemment public, et c’est cela qui nous permet d’avancer que la prédation familiarisante est un schéma général de la production de personnes et d’unités socio-politiques. D’où le caractère multi-communautaire de la partie finale des rites guerriers, généralement considérée comme la grande fête, moment crucial de réunion et de constitution des réseaux d’amitié et d’inimitié qui structurent l’univers des rapports sociaux d’un groupe. Le travail du rite permet non seulement que les actes homicides acquièrent une productivité maximale – en les socialisant et en les multipliant – mais, surtout, qu’ils cessent d’être une série juxtaposée d’actes isolés, d’actions individuelles, pour devenir un mode de reproduction sociale généralisé, fondé sur I’appropriation et la familiarisation de subjectivités.

UNE LOGIQUE DE LA QUALITÉ

Jusqu’ici j’ai essayé de suggérer une façon de parler sur des formations sociales déterminées, dans lesquelles la guerre occupe une place pratico-conceptuelle centrale. Glissant vers l’inceste et se fermant par endogamie, les groupes locaux amazoniens sont conçus comme des îles (encore qu’historiquement instables) d’une sociabilité à la fois sûre et stérile. Entre soi, il se produit simplement des corps, non pas des personnes; des objets, non pas des signifiés. La représentation d’une stérilité intérieure est sous-jacente à l’ouverture vers l’extérieur sur le plan du chamanisme et de la guerre, à travers lesquels s’instaurent des rapports de prédation et de familiarisation avec des ennemis, des animaux et des esprits. J’ai essayé de montrer que ce schéma peut être généralisé et compris comme partie d’une économie de production sociale de personnes et de groupes. Je dois encore parler de quelques éléments distinctifs de la guerre indigène que nous pouvons extraire de ce modèle. Nous venons de voir que le rituel est un aspect fondamental du système productif des économies de prédation familiarisante. II permet que le travail symbolique de production sociale de personnes acquière un caractère publique et collectif. Cette amplification des effets de la destruction de l’ennemi n’est pourtant pas spécifique au rituel, elle peut se manifester à plusieurs moments du complexe belliciste. Et ici commencent à apparaître les caractéristiques propres à la forme de guerre que nous venons d’analyser.

La première d’entre elles c’est que si, dans la guerre disons moderne, les ennemis sont chosifiés ou animalisés, dans la guerre indigène, au contraire, ils ont forcément le statut de sujets: la prédation est un rapport social entre sujets (Viveiros de Castro, 1993, 186). Pour que la consommation soit productive, elle ne peut pas être la négation pure de l’autre: l’ennemi ne peut pas être réduit à la condition d’objet ou de input. Cela signifie que le mouvement belliciste respecte plutôt une logique de la qualité que de la quantité. Les opérations guerrières visaient non seulement à reconnaitre la subjectivité de l’ennemi, mais à la qualifier, à la sortir de l’indifférence pour consommer sa difference.

Les espaces et les modalités de la guerre sont différentiés qualitativement. Dans le cas de la chasse au trophée jivaro, par exemple, on ne coupait la tête qu’à ceux qui parlaient la même langue, mais pas le même dialecte. Dans la chasse aux dents pratiquée par les Yagua on n’enlevait les dents que des ethnies qui participaient d’un système interethnique d’échanges. C’était peut-être aussi le cas des Munduruku, dont les têtes étaient issues surtout de peuples tels les Mawé, les Apiaká et les Parimintin, mais jamais des Blancs ni de ceux du même groupe (Menget, 1993, p. 314). Il y a pourtant des sociétés dans lesquelles cette détermination par la distance était remplacée par un effort de qualification de l’ennemi, indépendamment de son origine ethnique. C’est le cas des Tupinamba qui, malgré leur préférence pour des victimes de langue tupi, ne se refusaiem pas à tuer et à manger des captifs tapuia ou européens. Le long séjour du prisonnier dans le village permettait d’accorder de la signification à une différence éventuellement peu déterminée.

Il existe donc une logique qualitative qui détermine une distance optimale entre le même identique et l’autre indifferent (Taylor, 1985), qui est la condition de la saisie d’idemités et de qualités à l’extérieur. Il ne s’agit pourtant pas seulement de saisir quelque chose d’unitaire qui appartient à la victime – son âme, son nom, sa tête. Fréquemment, l’ennemi est le support d’une opération productive à grande échelle. Voilà donc la deuxième caractéristique distinctive de la guerre indigène: sa logique n’est pas celle de transferts d’unités égales d’une partie à l’autre, mais celle de la multiplication des effets à partir d’une cause unique. Cette logique s’exprime en trois aspects de la complexité de la guerre. Premièrement, sur le champ de bataille, avec la socialisation de l’acte homicide, qui permet d’élargir le nombre des tueurs. Chez les Parakanã, par exemple, ceux qui n’avaient pas touché l’ennemi pendant l’attaque cherchaient les cadavres de leurs adversaires pour les toucher avec leurs flèches et se soumettre apres aux restrictions post-homicides. Les Yanomami pratiquent aussi cette perforation multiple de l’ennemi même après sa mort (Lizot, 1989,109), et tous ceux qui provoquent un type quelconque de blessure se soumettent à la réclusion (Albert, 1990, p. 559). Les guerriers kayapó attaquaient l’adversaire blessé, en l’assommant plusieurs fois avec leurs massues, de sorte que le meurtre était rarement une entreprise individuelle (Verswijver, 1992, p. 179)[14].

Le second aspect qu’exprime cette logique de multiplication est le grand nombre d’attributs extérieurs que les homicides sont ainsi capables d’obtenir et de transmettre, pour eux-mêmes ou pour le groupe: de nouveaux noms, de nouvelles chansons, de nouveaux enfants. Pour les Tupi-guarani, par exemple, l’hyper-productivité du tueur s’exprime dans sa fonction de nommer et de donner des chants. Comme nous l’avons vu, chez les Araweté, c’est l’âme même de la victime qui énonce les chansons (qui amorcent la danse rituelle) et les noms (qui accordent une existence singulière et déterminée aux bébés)[15]. Déjà parmi les Parakanã, cette association est indirecte: l’homicide et la réclusion mènent au développement de la capacité de rêver, moyen par lequel on prend possession des noms et des chants des adversaires. Finalement, et c’est le point qui nous intéresse le plus, la logique de multiplication se concrétise dans le passage du travail symbolique sur l’homicide vers le rituel publique, ou tous, y compris les femmes, bénéficient de la destruction des ennemis.

En somme, ce que nous avons appelé “guerre indigène” respecterait plutôt une logique qualitative que quantitative. Son mouvement consisterait moins à tuer le plus grand nombre d’ennemis qu’à extraire le plus possible d’une seule mort. Les sociétés indigènes semblent avoir concentré tout leurs efforts intellectuels dans l’accroîssement de l’efficacité belliqueuse plutôt que dans l’expansion de son efficacité symbolique; le travail de la guerre s’est moins tourné vers la multiplication des victimes que vers ses effets symboliques.

Cela ne signifie pas que nous devions réduire la guerre amérindienne à une simple opération cognitive de consommation et de production de significations. Ce n’est pas simplement un théâtre d’idée, mais des corps détruits et fabriqués, lacérés et édifiés. Tout au contraire, donc, de la guerre de conquête dans laquelle nous avons l’appropriation des corps comme force de travail abstrait et de richesses dont la valeur préexiste à son appropriation, dans la guerre amérindienne les corps des ennemis sont avant tout des supports pour un travail de production sociale de personnes (et non pas des moyens de production de biens), et les objets acquièrent de la valeur par le processus de leur absorption même. L”idéalisme” dont se revêt la guerre indigène semble avoir un rapport avec la valeur restreinte des objets matériels, qui ne se prêtent pas, sinon sous un mode affaibli, à la médiation des rapports sociaux. Contrairement aux systèmes mélanésiens, dans lesquels la circulation d’objets de valeur – coquillages et pores – permettent la médiation de rapports entre groupes et personnes, dans les terres basses de l’Amérique du Sud cette médiation était réalisée surtout par l’ennemi et ses attributs: le captif tupinamba, la tête-trophée jivaro, les chants-ennemis parakanã articulent ou articulaient des rapports plus vastes que celui de la parenté, en agréant villages, groupes locaux, bandes alliées. Dans l’Amazonie indigène, prédominent des économies de production sociale de personnes à travers d’autres personnes, dans lesquelles la destruction-consommation de l’ennemi a un rôle central et fécondant, même si cela n’a pas été élaboré par toutes les sociétés de la région ni n’a le même poids symbolique dans chacune d’elles.

CONCLUSION

Quelle condusion pouvons-nous tirer de tout cela? En parlant d’une logique de la qualité, serais-je en train de dire qu’au fond, la guerre indigène n’est pas si mauvaise? Qu’en fin de compte, elle est plus rituelle qu’effective? Que nous devons accepter l’état de guerre hobbesien, mais atténuer ses connotations négatives? Qu’il faudrait admettre qu’il y a plus de barbarie dans la “chosification” d’un homme que dans la dilacération de son corps et la manducation de sa chair, dès lors qu’on continue à le concevoir comme un sujet?

Posées comme cela, il n’y a pas moyen de répondre à ces questions. Or, notre regard sur la guerre indigène a toujours été assailli par ces questionnements, a toujours été à la recherche d’une mesure éthique transculturelle, qui permette de porter des jugements de valeur sur nous et sur les autres. Tandis que nous alimentions nos propres doutes, des sociétés qui nous étaient étrangères ont été conquises et colonisées. Plusieurs ont disparu, d’autres se sont modifiées et recréées. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus observer, sinon de façon épisodique, les guerres que nous avons citées.

II n’est pas difficile de concevoir la continuité de systèmes guerriers comme ceux décrits ici dans une situation d’absence de guerre. Ils possèdent tous un degré plus ou moins élevé de flexibilité, qui permet de les reproduire dans un manque de victimes humaines. Ce fait ne signifie pas qu’ils restent identiques à eux-mêmes, mais que les transformations se font dans une certaine limite; limite qui, une fois dépassée, détermine la mort de ces transformations et l’apparition de nouvelles. Le problème du dépassement semble se poser de façon très forte lorsque ces économies se voient définitivement insérées dans un système dont l’ontologie, la structure et le mode d’opération sont radicalement différents. C’est ce qui arrive, aujourd’hui, chez les Yanomami et autres sociétés amérindiennes, en nous posantde nouvelles questions sur la manière de conceptualiser les systèmes décrits et leurs transformations.

Ces transformations, cependant, n’ont pas commencé avec ce siècle. Elles-mêmes ont une longue histoire. Les Yanomami n’étaient pas des fossiles vivants, ils ne représentaient pas des survivances d’un passé perdu quand ils ont été décrits dans les années 1960. Encore que sans contact permanent avec la société nationale, ils ne sont pas demeurés en dehors de l’histoire coloniale. C’est pour cela, aujourd’hui, qu’on voit d’un mauvais cril les généralisations habituelles, comme de parler de “guerre indigène”, de “guerre primitive” ou autres expressions du même genre (comme, d’ailleurs, je l’ai fait moi-même jusqu’ici). II y a une variabilité beaucoup plus importante que celle dont rendent compte les dichotomies archaïque/moderne, sans État/avec État, extra-occidental/occidental et ainsi de suite. A part cela, toutes nos observations sur les groupes indigènes de ce continent ont été faites, bien entendu, après le début de la Conquête, donc plus dans une situation, disons, “traditionnelle”. Quelques anthropologues ont poussé ce point à l’extrême et ont affirmé qu’il n’est pas possible de séparer ce qui est autochtone de ce qui est adventice, ce qui est caractéristique des systèmes indigènes de ce qui est le produit du processus colonial. En une certaine mesure, ils ont raison, mais dans une certaine mesure seulement.

II y a une récurrence tres grande de pratiques et de représentations, dans des régions aussi éloignées que les forêts tropicales équaloriennes et la côte brésilienne, à des moments aussi divers que le XXe et le XVIe siècles, dans des groupes aussi différents que les Yanomami et les Munduruku. Dans ces contextes, temporalités et sociétés, nous voyons le comportement belliqueux s’articuler à un ensemble d’hypothèses assez systématiques, qui ont à voir avec le rapport à l’extérieur et avec la production de l’intérieur. L’erreur de l’historicisme c’est de croire qu’il n’y a pas de formes simplement du fait que les formes existent dans l’histoire. Ce que j’ai essayé de suggérer ici a été une nouvelle manière de parler de ces formes, à travers les concepts de consommation productive et de prédation familiarisante. Si mon modèle se montre capable d’expliquer un ensemble significatif de faits ethnographiques, nous pourrons le prendre comme modele général et ce sera alors le moment, comme affirme Nicholas Thomas, de “le fracturer [… ] à travers les nuances de la pratique et de l’histoire” (1991, p. 27).

Traduit par Verónica Galíndez-]orge

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Notas

  1. Le thème du dépeuplement inverse le topos du peuplement qui domine notre histoire coloniale et l’imaginaire de la mission bandeirante. A propos de ce thème, voir John Monteiro (1992).
  2. II n’y a pas de chiffres sûrs à propos de la population du Brésil dans la Colonie. Les recensements entrepris par la Couronne sont redoutables, d’autant plus que très souvent les Indiens n’y étaient pas inclus, ni les enfants ou encore les esclaves (voir Fausto, 1994, p. 135). Et encore, on estime qu’à la fin de la période coloniale la population totale du Brésil atteignait environ 3,5 millions de personnes (Marcílio, 1990. p. 60). Dans le cas de la démographie indigène, les incertitudes sont encore plus frappantes, puisqu’on ria même pas acces à des recensements partiels. Les évaluations plus récentes, cependant, indiquent des populations assez expressives habitant le territoire brésilien au moment de la Conquête. Denevan (1992), par exemple, estime qu’environ 950 000 Indiens habitaient la côte atlantique, depuis l’embouchure de l’Amazone jusqu’à Rio de Janeiro, qu’environ 1 million étaient concentrés dans les savanes centrales du Brésil et 1,5 million se distribuaient le long des bords du fleuve Amazone. Clastres (1978, pp. 56-70), à son tour, suggère qu’environ 1,5 million d’lndiens guarani habitaient la région Sud, entre la côte brésilienne et le bassin des fleuves Paraná et Paraguay.
  3. Encore qu’on ne puisse pas ignorer la virulence des guerres de Conquête, les épidémies ont été les principales responsables de la baisse démographique des peuples natifs des Amériques. Les récits des chroniqueurs de l’époque ne laissent aucun doute à ce propos, et il faut les consulter pour avoir une idée de la dimension et du caractère dramatique du phénomène. Pour la côte brésilienne au XVIe siècle, je propose la lecture des lettres des jésuites et du chapitre sur les épidémies chez Hemming (1987). Pour le Maranhão et le Pará au siècle suivant, il y a de nombreuses données chez Betendorf ([1698]-1910), et un survol général dans le premier chapitre de ma thèse (Fausto, 1997). Pour un débat plus large sur ce phénomène en Amérique, voir Dobyns (1993) et Ramenofsky (1987).
  4. Parmi les guerres de résistance, il y en a une particulierement réussie : le soulèvement des Aruak de la forêt centrale péruvienne, qui a culminé avec l’expulsion des Espagnols en 1752. La région n’a été rouverte à la colonisation qu’environ cent ans plus tard. Pendant ce temps, les Indiens non seulement ont pris le contrôle des forges installées par les colonisateurs, mais ont aussi fondé de nouveaux centres de production et ont découvert de nouvelles mines, jusque-là inconnues dans la forêt tropicale, ce qui leur a permis de produire de façon autonome des instruments de métal. A propos de cette expérience fascinante, voir Santos Granero (1993a).
  5. Le questionnement sur le “précaire” développement des cultures de la forêt tropicale sud-américaine est congénital à la découverte de l’Amérique. Il se pose à partir d’un double modèle: d’un côté, la société colonisatrice et la colonisée; de l’autre les sociétés de l’altiplano andin et celles des terres basses. A partir des années 1940, ce questionnement acquiert un cadre théorique défini, celui de l’écologie culturelle, et une formulation précise: quel facteur environnemental aurait limité la croissance démographique dans la région et le développement de structures sociopolitiques complexes? Pour une analyse des réponses données à cette question, voir Roosevelt (1980) et Carneiro (1995). Pour une critique de ce modèle déterministe, voir Descola (1986) et Balée (1989).
  6. Mais tout comme Hobbes, Chagnon croit que les faits de la nature peuvent être contrés par les forces de l’État. Son célebre article de 1988, publié dans Science, conclut par une parabole: “Une perception particulièrement aigue sur les pouvoirs de la loi pour éviter des morts par vendetta me fut concédée par un jeune yanomami en 1987. II avait appris l’espagnol avec les missionnaires et avait été envoyé à la capitale pour suivre une formation d’assistant infirmier. Il y a découvert la police et les lois. II m’a raconté avec beaucoup d’enthousiasme qu’il s’était retrouvé avec le plus important pata de la ville (le gouverneur local) et lui a demandé de rendre disponibles les lois et la police pour son peuple, pour qu’ils n’aient plus à s’engager dans des guerres de vengeance, ni vivre dans la peur constante” (1988, p. 990).
  7. Voir les critiques de l’anthropologie de la théorie du Système Mondial, plus spécialement sur deux de ses présupposés: premièrement, que les sociétés antérieures à la Conquête ne disposaient pas d’une historicité propre (Comaroff, 1987, p. 64) et, deuxièmement, que les sociétés postérieures à la Conquête n’ont pas de structure propre (Sahlins, 1988). Dans le contexte sud-américain, ces présupposés s’expriment par une convergence entre raison historique et raison naturelle: “Prises entre l’Histoire Européenne (ou mondiale) et la Nature Américaine (ou humaine), les sociétés indigènes se réduisent à un simple reflet d’une contingence et d’un besoin également extrinsèques” (Viveiros de Castro, 1996, p. 193).
  8. Republié en version longue dans le livre Stone Age Economics (1972), sous le titre“The original affluent society”.
  9. Je tire profit ici de l’analyse de Sahlins (1972, pp. 168-183) sur la philosophie politique de l’Essai sur le don.
  10. Comme le remarque Knauft (1990, p. 261), dans le contexte des études mélanésiennes, pour le fonctionnalisme “la guerre indigène était rationnelle et avait un propos, elle était limitée dans sa disruption et, en fait, thérapeutique dans la gérance ordonnée des disputes et dans l’intégration de la société. Par contre, le sang, l’émotion et la destruction de la guerre étaient très peu soulignés”.
  11. Dans son étude sur l’économie mélanésienne, Gregory (1982) repose le problème du rapport entre production et consommation, en reprenant des concepts de l’introduction à la Contribution à la critique de l’économie politique (Marx [1857], 1973), exclue du texte publié en 1859. Nous y trouvons un contraste entre deux formes qui font de la consommation et de la production une unité duale: consommation productive (dépense de matériaux et d’énergie pour la production d’objets) et production consomptive (consommation alimentaire grâce à laquelle les êtres humains produisent leurs propres corps). Gregory fait allusion à l’ensemble production-consommation productive en tant que “processus d’objectification” et à l’ensemble consommation-production consomptive comme “processus de personnification”. Dans les économies du don, dit-il, “la production et l’échange d’objets en tant que dons doivent être expliqués par rapport au contrôle sur les naissances, les mariages et les morts” (Gregory, 1982, p. 101). Lorsque j’applique la notion de consommation productive à la guerre amérindienne, je ne suggère pas que nous la comprenions en tant que “processus de objectification”. Le point ici repose sur le fait que je traite la production de personnes à travers des personnes comme un phénomène de la sphère productive et non pas de la consommation. L’ingestion symbolique de l’ennemi, qui provoque des transformations corporelles et “spirituelles” chez le tueur, ne saurait être comparée à la consommation d’aliments pour le développement physique de la force de travail, puisque cela occupe une place équivalente à la dépense productive dans les sociétés capitalistes.
  12. L’idée de l’absence de lieu de pouvoir dans les sociétés amazoniennes, qui a gagné une diffusion au-delà de l’ethnologie avec l’œuvre de Clastres, doit être analysée avec précaution. Il y a plus de variabilité dans l’espace et dans le temps qu’on ne l’admettait auparavant: il est probable que dans le temps, c’est-à-dire, avant la destructuration des systèmes sociaux indigènes causée par la Conquête, nous ayons pu trouver plus de centralisation politique dans certaines régions d’Amazonie, en particulier le long de son cours d’eau principal (Rossevelt, 1993). Nous savons également: que cela s’applique à d’autres régions des terres basses, comme le Chaco, les plaines inondables de Bolivie et la côte des Guyanes. Heckenberger (1997) soutient des points de vue semblables pour la région de formation du fleuve Xingu, en étendant son argument jusqu’à aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, la question de déterminer avec plus ou moins de précision la réalité de ces structures politiques et leurs rapports avec celles des sociétés amazoniennes décrites comme acéphales ou à directions faibles et transitoires reste ouverte. Pour des critiques à Clastres, voir Descola (1988) et Santos Granero (1993b).
  13. Chez les Nivacles du Chaco, par exemple, le scalp et le tueur étaient “inaugurés” par des festivités initiales, juste apres l’arrivée de l’expédition guerrière, où les femmes dansaient avec le trophée encore saignant pour qu’un “peu de l’âme-esprit de la victime” puissent leur être transmis (Sterpin, 1993, p. 42). Seules les vieilles sans sang (i.e. sans capacité de reproduction) pouvaient participer à la danse, qui leur permettait d’acquérir une “fertilité canora” ou, plus exactement, de nouveaux chants pour inaugurer de nouveaux scalps! La puissance génésique du trophée se manifestait dans son transfert (partiel) aux femmes qui n’étaient plus fertiles; elle s’explicitait aussi comme chez les Jivaro par des règles masculines.
  14. Cet élargissement du nombre de tueurs sur les champs de bataille semble être lié à l’absence de hiérarchisation rigide et bien définie des hommes en fonction de leur mérite guerrier. Or, dans les sociérés où nous trouvons cette hiérarchie, on peut observer des restrictions à la multiplication des hommes concernés par la mort ou la capture d’un ennemi. Dans les “sociétés de guerriers” du Chaco, par exemple, n’étaient levés à la condition de caanvacle que ceux qui tuaient, qui scalpaient l’ennemi et qui apportaient le trophée (Clastres, 1982, p. 222; Sterpin, 1993). Or, ceux qui ne voulaient pas avoir ce statut n’étaient pas obligés de prendre le scalp, ils pouvaient céder la victime à un de leurs compagnons. Par contre, dans le système aztèque, plus rigide et hiérarchisé, céder un captif à un autre guerrier était un crime puni de mort (Clendinnen, 1991, p. 116). Dans les deux cas, cependant, le rituel continuait à socialiser et à élargir les effets de l’homicide, encore que sous le contrôle d’une élite guerrière et/ou sacerdotale.
  15. Cependant, il n’y a pas que le tueur qui reçoive ces chants: “Un seul et unique ennemi apprend à son tueur plusieurs chants, et mêmes à d’autres personnes: tous ceux qui ont eu un contact proche avec l’ennemi (échange de fleches, blessures) reçoivent des chants, de façon que le festival de danse pirahë implique l’énonciation collective de plusieurs mélodies unies en séquence” (Viveiros de Castro, 1992, p. 241).