Trois manières de créer une cité
por Newton Bignotto
L’idée que nous avons de la création d’une cité ou d’une nation, en termes modernes, est presque toujours une vision produite à partir d’une expérience historique consolidée auparavant et qui nous fournit l’identité de notre objet comme quelque chose d’évident, ou, (de quelque façon), comme incontestable aux yeux du sens commun. C’est-à-dire, nous parlons du moment de la création comme de quelque chose de réellement existant par le simple fait que nous sommes capables de reconnaître une ligne de continuité entre un moment du passé et notre propre temps. Nous posons le problème de l’identité d’un corps politique toujours à partir du présupposé que sa création lui a conféré une certaine spécificité par rapport à d’autres corps politiques et qu’il est légitime de réfléchir sur les chemins qui ont été suivis au long de son développement dans l’histoire. Nous admettons, donc, qu’à un certain moment la fondation de quelque chose de nouveau a eu lieu et que cet événement est fondamental pour la compréhension de ce qui s’en est suivi.
Certes, ce que nous suggérons n’est qu’un schéma général, car nous avons souvent de grandes difficultés à situer le moment de la création dans l’histoire et nous perdons beaucoup de temps à essayer d’ établir quel événement réel doit être pris comme événement inaugural du corps politique qui nous intéresse. Le choix de ce repère initial est presque toujours conditionné par l’idée que nous nous faisons de l’histoire du corps politique et de ses traits distinctifs. Choisir, dans ce cas, suppose de laisser de côté certains faits afin d’en souligner d’autres, qui nous semblent cohérents avec l’image que nous avons de notre objet d’étude. Dans ce sens, les rites de commémoration des moments inauguraux portent en eux une vision de l’histoire et une perception des voies de la constitution d’une telle identité. De ce fait, ces exercices de remémoration ne suscitent pas de doutes quant à leur signification la plus profonde. Situer dans le temps une date de constitution d’une nation ou d’une cité dans le monde ancien suppose bien plus qu’un exercice de précision chronologique. Ce faisant, nous inventons un découpage dans l’histoire et nous produisons une nouvelle identité. Ainsi, en même temps que nous ne pouvons comprendre la nouveauté que dans le contexte qui l’a vu naître, nous affirmons aussi que le nouveau corps politique est venu changer le monde dans lequel il est apparu, une fois qu’il s’y est inscrit comme une entité autonome.
Dans le monde ancien, beaucoup de cités ont traité cette question à travers leurs mythes fondateurs. Comme l’a déjà montré Nicole Loraux[1] , des cités comme Athènes affirmaient leur identité et revendiquaient autonomie en ayant recours à des liens avec des héros et des dieux. Leur identité leur était donnée par un rapport spécifique avec ce qui était en dehors du temps. Ainsi, pour comprendre la nature de la cité, les Grecs recouraient souvent à la nature des dieux qui avaient présidé à leur naissance comme à une explication causale de leur développement postérieur. Il est évident que ce procédé supposait la confiance en l’idée que l’origine de la cité déterminait son essence et que ses développements postérieurs ne pouvaient pas être compris sans recours au passé et à ses formes inaugurales. Ce qui attire l’attention, cependant, c’est justement le fait que l’acte de remémoration du mythe s’approche de certaines de nos manières actuelles de commémorer la naissance des nations. Nous rappelons la naissance pour fêter, mais, surtout, pour comprendre. Nous voulons avoir présents les premiers pas, afin d’illuminer nos chemins actuels et nos possibilités.
Ce que nous venons de dire trouve un exemple éclairant dans le procédé des humanistes florentins du début du XVe siècle. Afin de sortir des eaux médiévales, beaucoup d’ entre eux, en particulier Leonardo Bruni[2] , ont abandonné la manière dont les chroniqueurs médiévaux pensaient et écrivaient l’histoire des cités, pour enquêter sur le passé des diverses communes italiennes. Ce faisant, ils ont pris comme présupposé que l’éclaircissement de l’origine servait d’ explication aussi à l’état actuel et, surtout, aux possibilités futures de développement. Cet éclaircissement était nécessaire car, selon eux, l’un des effets du Moyen Age avait été d’obscurcir la véritable origine des cités et d’empêcher ainsi leur développement dans la direction que leur permettait leur naissance. L’equation de base, qui sous-tend le raisonnement d’hommes comme Bruni, c’était qu’un début libre impliquait la possibilité de fonder une cité libre, tandis que l’inverse condamnait la cité à l’obéissance à une puissance étrangere. En outre, le retour aux classiques de la pensée politique ancienne garantissait la confiance dans la forme républicaine de gouvernement et la certitude qu’elle représentait le régime par excellence de la grandeur et de la puissance. En rappelant la supposée liberté originelle de Florence, ce que visaient les humanistes de la premiere moitié du XVe siècle, c’ était de comprendre sa trajectoire et repérer ses possibilités futures.
La question, donc, de la création des cités ou des nations fait partie du patrimoine de la réflexion politique occidentale et a mérité l’attention au long des siècles non pas seulement d’historiens et de philosophes, mais aussi de gouverneurs et d’hommes publics qui se sont vus placés devant le problème de l’identité du corps politique auquel ils étaient liés. L’exemple des humanistes, pourtant, doit nous servir d’ alerte. S’ils ont pu recourir au thème des origines comme à une arme contre le Moyen Age, c’est parce que le consensus autour de cela est une pure illusion. C’est-à-dire, comme le montre l’effort de Bruni pour réhabiliter le passé florentin, ce manège n’est significatif que parce qu’il est impossible de penser la cité sans envisager sa naissance et sans établir de liens de causalité entre ses origines et son histoire postérieure. Durant le Moyen Age, le thème de la création du corps politique a été pratiquement absent de la pensée politique, sans que nous puissions nier qu’il y ait existé une tradition féconde concernant d’autres questions essentielles de la réflexion politique.
Ce que nous cherchons à montrer, c’est simplement que le thème de la création ne peut pas être abordé comme un truisme de notre culture et qu’il nous contraint à un effort de pensée beaucoup plus grand que ne semblent suggérer certaines stratégies conceptuelles passées ou présentes. Dans I’espace de ce texte, il nous est impossible de rendre toute la complexité d’un thème comme celui-là, mais nous pouvons au moins essayer de repérer le territoire de nos préoccupations. Tout d’abord, en rappelant quelques points des difficultés inhérentes au problème de la fondation du corps politique et ses spécificités. Ensuite, en explicitant le lieu dont nous avons l’intention de parler et qui est un découpage du thème plus général, auquel nous faisons allusion.
De fait, la question de la fondation des régimes est un thème central depuis Platon. Suivant la tradition grecque de recourir au mythe du moment originel pour comprendre l’identité des cités, le philosophe athénien a cherché dans plusieurs de ses dialogues, comme La République, Le Politique, et Les Lois, à montrer comment il était possible de penser et de réaliser la création d’une cité à partir d’un point de vue entièrement rationnel. A l’effort plus général de penser le monde avec les armes de la raison et non plus du mythe, s’est joint la tentative de remplacer le récit mythologique des origines par une analyse des causes et des liens implicites dans la fondation d’une nouvelle cité. Dans Le Politique, Platon cherche à comprendre la nature de cet art, qu’il appelle “royal” et qui consiste dans la recherche de la meilleure organisation possible de la vie en commun des hommes, apres avoir établi dans La République le paradigme du gouverneur idéal.[3] Cette manière d’analyser la question aura une grande répercussion dans le monde antique et à la Renaissance et continuera de servir de référence dans le monde contemporain, même quand le recours aux principales topiques de la pensée politique grecque ne sera plus possible que par l’intermédiaire de médiations complexes. Ce qui nous intéresse ici, c’est de situer nos efforts à l’intérieur des débats traditionnels autour de la fondation des régimes, à l’exemple de ce qu’a fait Hannah Arendt dans plusieurs de ses écrits.
Une fois repéré ce territoire conceptuel, il s’agit d’ établir quelques distinctions qui facilitent la compréhension de l’objet de ce texte. Platon nous aide, dans la mesure où son œuvre est un exemple classique du traitement philosophique du problème de la fondation. Dans ses analyses du Politique, il cherche à montrer ce qu’est le savoir du fondateur et comment il s’articule avec le temps qui doit recueillir le résultat de ses actions. Ses arguments sont paradigmatiques, non pas seulement parce qu’ils éclairent la nature du problème, mais aussi parce qu’ils démontrent que nous ne pouvons pas connaître entièrement les difficultés du fondateur sans envisager la position spéciale qu’il occupe par rapport à l’histoire de la cité. Situé en dehors du temps d’existence du corps politique, il bénéficie d’une liberté extrême par rapport aux acteurs politiques traditionnels. En même temps, sa condition exceptionnelle l’éloigne des hommes qui constitueront le corps de la cité, rendant ainsi leurs actions parfois difficile à comprendre et, leur ôtant de ce fait de l’efficacité. La position solitaire du créateur lui confère une grande liberté, mais aussi une énorme difficulté, puisque son savoir semble se situer hors du terrain du langage ordinaire des hommes, ce qui menace de le rendre étranger à l’histoire des hommes et de le rapprocher du mythe dont il avait l’intention de s’éloigner. Platon, en particulier, a beaucoup investi dans la démonstration du caractère en même temps théorique et pratique du savoir du fondateur et de son ancrage dans la raison. lndépendamment des aspects singuliers de sa solution, il nous a légué la pleine compréhension du problème théorique posé par la création de nouvelles formes politiques.
Pendant la Renaissance, cette question a repris une place importante chez les théoriciens de la politique, recevant un traitement exemplaire de la part de Machiavel[4], même si son point de départ est très différent de celui des Grecs. Comme nous l’avons déjà dit, le fait de penser l’origine des cités est devenu une question pressante pour les penseurs qui essayaient de se détacher de l’héritage médiéval et de ses exigences universalistes. Si nous pouvons parler, à cette période, de l’apparition d’une solution théorique, il faut admettre qu’elle est née d’une exigence très concrète, créée par l’effort des petites communes italiennes pour garantir leur indépendance et affirmer leur autonomie devant les grandes structures de pouvoir de la période antérieure. Donc, à côté des formulations chaque fois plus sophistiquées des penseurs, nous trouvons aussi les tentatives pratiques de solution du problème de l’identité des cités.
Ainsi, nous pouvons formuler un problème qui, en gardant une intime connexion avec celui de la fondation, tel que nous le connaissons depuis les Grecs, a pour objet l’action historique des fondateurs et non pas la nature de leur savoir ni sa spécificité[5]. Nous parlons d’actions et de projets visant à résoudre les problèmes pratiques posés par la nécessité de créer une cité “nouvelle”. Nous pouvons dire que notre question concerne des événements et des actions perpétrés dans l’histoire mais qui gardent un rapport étroit avec les problèmes posés par les théoriciens classiques de la fondation. Dans un certain sens, il ne s’agit pas d’une nouvelle question, mais d’aborder cette même question d’un autre point de vue, ce qui, à notre avis, change la nature de l’objet. En étudiant les actions de ceux qui se sont proposés de formuler de nouveaux chemins pour les cités-états de la Renaissance, nous essaierons de comprendre la création des formes politiques à partir du point de vue de la cité même, et notre référence sera les œuvres et les projets connus des citoyens et jugés par eux. Notre objet nous donnedonc une possibilité différente de celle des analyses centrées sur la nature du savoir fondateur, puisqu’il nous permet d’aborder les diverses stratégies d’ action dans un contexte sur lequel il nous est impossible de parler et qui a certainement influencé les fondateurs eux-mêmes.
Nous avons choisi comme période historique la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle en Italie. Cette délimitation facilite les comparaisons entre différentes stratégies, mais qui se sont toutes adressées au même “public” et qui ont rencontré les mêmes obstacles. En premier lieu nous allons analyser la tentative de Savonarole de fonder à Florence une nouvelle Jérusalem. Ensuite, nous allons voir comment Giannotti, l’un des disciples de Machiavel, a formulé un projet constitutionnel basé sur le modele vénitien. Enfin, nous étudierons les projets de “cité idéale” de penseurs et d’artistes comme Alberti et Léonard de Vinci. Ce que ces actions ont en commun, c’est le fait d’essayer de refonder la cité dans le contexte turbulent et extrêmement complexe de la Renaissance italienne.
La nouvelle Jérusalem
Le 23 mai 1498, à Florence, trois moines dominicains furent pendus et brúlés, et leurs cendres jetées dans l’Arno. Un jour avant leur mort, l’un d’eux, Jérôme Savonarole, se demandait: “Les choses qui pour Dieu arrivent rapidement peuvent-elles sur terre mettre plus de temps?”[6] Avec ce doute, il clôturait une aventure qu’il avait commencé longtemps auparavant, en 1475, lorsque, déçu par son temps et peut être par ses propres expériences personnelles, il avait résolu de rentrer chez les Dominicains, laissant derrière lui Ferrare, sa ville natale et une famille qui le destinait à la médecine ou à une carrière universitaire. Au début de sa vie ecclésiastique, Savonarole se consacra intensément à la prédication, mais rien ne semblait indiquer qu’il allait occuper une place dans les disputes politiques de Florence[7]. Marqué par les études des œuvres de Saint Thomas, le moine de Ferrare développa vite une grande habileté à enchanter ses auditeurs. En parlant d’une façon simple et directe, en tirant ses thèmes de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament, il croyait que le but du prêcheur devait être celui d’émouvoir l’assistance et, de cette manière, de la conquérir par une vision renouvelée du monde. Pourtant, dans les premieres années, il ne s’intéressait pas à la vie politique. A Florence, entre 1482 et 1487, il influa beaucoup plus sur les autres dominicains que sur la population qui l’écoutait, mais qui n’avait pas encare été touchée par la force de ses paroles. En vérité, Savonarole impressionnait beaucoup plus par sa conviction religieuse et sa pureté doctrinale que par sa perception des difficultés de la vie de la cité. A cette époque, Florence vivait encore une période de relative paix interne sous le gouvernement des Médicis. L’élite intellectuelle sophistiquée de la cité ne sembla pas spécialement impressionnée par la rhétorique directe du prêcheur dans un premier temps.
S’il ne se transforma pas en une autorité dans la vie politique de la cité, il n’échoua pas non plus et, en 1490, il finit par revenir occuper, un an après, le premier poste dans le couvent de Saint Marc. A partir de cette date, le moine devint peu à peu une référence pour beaucoup de membres de l’élite, bien que ses plans fussent avant tout de réformer le couvent, qu’il réussit à rendre indépendant de la Province dominicaine lombarde en 1493[8]. Le 6 avril 1492, pourtant, les choses vont commencer à changer. Après que la foudre ait atteint la coupole de l’église Santa Maria del Fiore, Savonarole affirma dans son sermon du lendemain : “Ecce gladius Domini super terram cito e velociter” (“Voici que l’épée divine est brandie sur la terre avec rapidité”). Quand Laurent de Médicis mourut deux jours plus tard, les Florentins furent convaincus que le moine prêcheur était aussi un prophète. A partir de ce moment, son ton changea et il commença à faire des sermons toujours plus apocalyptique. Ce qui était jusqu’alors endormi, au moins aux yeux de ceux qui affluaient chaque jour plus nombreux à ses sermons, se réveilla.
Ce n’est pas ici notre propos de faire une analyse, même si partielle, de la vie et de l’œuvre du moine de Ferrare. Le grand nombre de commentaires et d’analyses qui existent déjà rend cette tâche impossible dans un texte de cette nature. Pourtant, nous allons nous servir de tout ce qui a déjà été écrit afin d’ essayer de reconstituer le projet de Savonarole de fonder à Florence une nouvelle cité, une nouvelle Jérusalem. Les études concernant sa pensée politique confèrent souvent une place centrale à son Traité sur le régime et le gouvernement de la cité de Florence[9]. De fait, cet écrit de 1498 contient une synthèse de ses opinions politiques et des choix qu’il a fait au long des dernières années de sa vie, lorsque sa parole avait pris un poids décisif. Il nous permet de voir avec clarté les chemins qu’il a cherché à suivre et qui ne sont pas toujours clairs dans ses autres textes. Écrit, cependant, quand il était dans une situation extrêmement délicate, le traité n’offre pas au lecteur la vigueur et l’émotion de cette parole capable d’enchanter les Florentins. Comme notre propos est d’étudier les diverses manières de créer une cité ou ses projets, nous choisissons de présenter les principaux topiques de la pensée de Savonarole à partir de quelques-uns de ses sermons les plus connus de la fin de 1494, ou sa parole influença beaucoup des choix politiques faits par le peuple florentin. En outre, comme il n’y a pas de contradiction entre les textes, nous pouvons utiliser ses autres écrits pour d’éclaircir le sens de tel ou tel passage.
L’invasion de l’Italie par les troupes françaises en 1494 ne semblait que confirmer ce que disait le moine. En plus, l’extrême couardise de Pierre de Médicis, qui se rendit à Charles VIII pratiquement inconditionnellement, le fit expulser de la cité le 9 novembre de la même année. Savonarole, avec une grande habileté diplomatique, réussit à convaincre le roi français de laisser Florence en paix et, ainsi, délivra la cité de la soumission à une puissance étrangère. Avec la vacance du pouvoir, les débats sur la meilleure forme constitutionnelle à adopter par la cité dominent la scène politique, l’oligarchie ayant l’intention d’occuper la place qu’ elle avait avant l’ascension des Médicis. Le moine de Ferrare, qui jusqu’alors s’était limité à prophétiser des changements, se manifeste alors pour la première fois, en annonçant son projet pour la cité et la manière de concilier sa vision millénariste[10] avec la tradition de liberté de Florence.
Une bonne partie des sermons les plus influents de Savonarole fut prononcée au mois de décembre 1494[11], devant une foule attentive et peureuse. Presque tous conservent la structure de ses prédications antérieures. Ce sont des paroles directes, qui commencent en général par le commentaire d’ un psaume. II se fonde sur les Ecritures, mais ne cherche pas a priori des sujets compliqués ou difficiles. A l’intérieur de cette structure traditionnelle, cependant, on voit surgir ses paroles prophétiques et sa vision personnelle des événements. L’auditoire qui était habitué au moine pieux et sévere et qui a vu naître le prophète se trouve alors face à un homme préoccupé des choses de la cité, même s’il n’abandonne jamais sa place au sein de l’Église. Savonarole essaie de construire une nouvelle cité toute en paroles, croyant pouvoir être entendu et suivi. Il est l’architecte d’une nouvelle Jérusalem, mais un architecte qui se limite à tracer les grandes lignes de ses plans.
La métaphore de l’architecture, cependant, sert davantage nos propos que ceux du moine prêcheur. Au mois de décembre 1494, ce qu’il a l’intention de construire, c’est une nouvelle Arche de Noé, capable de contenir tous ceux qui se sont repentis de leurs péchés et sont devenus dignes d’habiter la nouvelle cité. Ainsi, le 7 décembre, il annonce: “Une fois que, bien aimés en Christ, notre arche a été construite, que les animaux y ont déjà été introduits et qu’elle a été fermée, comme vous l’avez entendu lors des sermons antérieurs, et puisque le déluge en partie a déjà commencé, notre Noé, qui se trouve dans l’arche, vous parle, vous qui avez été choisis par Dieu pour fuir un danger aussi grand.”[12] Savonarole avait déjà annoncé que Florence était une cité choisie par Dieu. Il restait encare à connaître les desseins de ceux qui se trouvaient au-dedans de l’arche. Or, tout d’abord, le moine rappelle que, en parlant de Noé, il parle d’une rupture qui appelle une transformation radicale. Ce changement devra être avant tout celui de l’Église. Une fois Florence choisie pour être la Nouvelle Jérusalem, c’est Rome qui doit changer ses voies, avec la contribution de certains de ses citoyens choisis.
Il y a, donc, chez le moine de Ferrare un accent religieux qui ne se dément jamais[13]. Dans les sermons de décembre, il revient toujours à la même question, même si le thème ne l’exige pas. Le 28 décembre, lorsque son projet pour Florence est déjà dessiné, il reprend: “Et que chacun soit dans l’arche, car ceux-ci seront la semence du renouvellement du monde.”[14] Il n’est pourtant pas seul responsable de l’idée de l’urgente nécessité de réformer l’Église. Au contraire, des intellectuels comme Marsile Ficin n’avaient pas été étrangers à l’idée qu’il fallait renouveler la foi chrétienne. En outre, il faut rappeler que Savonarole ne présente jamais un plan de réforme explicite. Il affirme sans arrêt le besoin de changement et le fait que le moment se rapproche, mais il ne dit pas de quelle façon cela arrivera. Ou bien, il le dit, mais aux Florentins, car il présuppose qu’ils seront le moteur de toutes les transformations. Le point d’appui des convictions de Savonarole est donc sa croyance dans le choix de Florence par Dieu et la confiance en ses prophéties selon lesquelles la fin d’une époque était proche. Sa foi millénariste rencontre à Florence un outil à même de l’aider à réaliser son rêve et le soutien d’une population apeurée par les événements et touchée par la réalisation successive des prophéties de son prêcheur[15].
Le projet du moine de Ferrare se structure autour de deux axes qui s’entremêlent et se complètent. Premièrement, l’axe moral, qui montre le chemin de la transformation individuelle, la manière d’entrer dans la nouvelle arche et donne des conseils pour apprendre à se comporter dans les temps qui s’annoncent. Le second axe est l’institutionnel. Il rassemble les transformations qu’il faudra nécessairement apporter aux structures de gouvernement de la cité. L’important, c’est d’observer que, même si l’objectif final est la réforme du monde chrétien comme un tout, il ne sera mis en œuvre qu’à partir de la cité élue. Dans ce sens, il s’agit d’un projet de cité que Savonarole dessine et qui sera exécuté dans les quatre années qui suivent ses prédications de 1494. Il ne faut pas oublier que ce projet sera mis en pratique et aura une influence durable lors des débats politiques et religieux de la Renaissance. Florence vivra pendant quelques années avec la croyance effective d’au moins une partie de sa population qu’elle est la cité élue.
Peut-être la grande habileté du prêcheur a-t-elle été de mélanger des éléments hétérogenes comme les réformes morale et institutionnelle, tout en conservant la forme des premiers sermons, qui s’en tenaient aux problèmes religieux. Il faut rappeler que nous ne pouvons pas considérer comme indifférent le fait que Savonarole parlait à un auditoire qui attendait déjà avec anxiété ses paroles et était habitué à ses thèmes favoris. En outre, nous n’avons pas affaire à un texte écrit et adressé à des lecteurs, qui auraient tout le temps de découvrir son sens profond. Savonarole avait le sens de l’urgence, il avait compris qu’il ne pouvait pas laisser passer l’occasion de changer le cours de la vie politique de la cité, car les vieilles alliances entre groupes privilégiés se recomposaient déjà et amorçaient le retour aux mœurs politiques du début du siècle. Il fait donc appel à ses dons de prophète, attestés par ses visions des dernières années et à sa capacité de synthèse et de persuasion. Après le sermon ou il déclare que l’arche est déjà fermée, il commence sa prédication suivante, en affirmant: “Ainsi, Florence, voulant innover par-delà tes vieux usages, il te faut bien penser aux modes de ton innovation et de ton nouveau régime.”[16]
Pour suivre ce chemin, il faut pratiquer au moins trois vertus: l’humilité, la simplicité et la charité[17]. Or, celle-ci était une tâche essentielle dans l’édification de la cité rénovée et qui devait être menée à terme par ses citoyens. Savonarole fait ici intervenir la stratégie à laquelle nous nous référons, à savoir, l’acte de rassembler dans un même texte des topiques dérivés de sphères différentes. Car s’il parle aux citoyens, il le fait à partir de deux endroits différents: en tant qu’appartenant au corps politique, car “citoyen veut dire homme libre de sa cité… ” et en même temps “ne veut pas dire serviteur”[18]. Si la première partie de la définition recouvre le sens usuel et trivial et donc facilement identifiable par ses auditeurs habitués déjà au discours républicain, la seconde partie est une nouveauté. Afin de démontrer ce que c’est que d’être serviteur, il se lance alors dans un long discours sur un psaume qu’il a choisi pour l’occasion. La conclusion finale sera présentée le lendemain: la principale servitude est celle des pécheurs[19]
La définition originale de citoyenneté gagne, ainsi, de nouveaux contours. Citoyen veut dire “homme libre de sa cité”, mais aussi “individu libre de péchés”. Pour exercer ses fonctions auprès des diverses instances de la vie politique, il faut commencer par craindre Dieu et mettre en œuvre le bien en consonance avec ce qui nous est enseigné par les Écritures. Ainsi la patrie peut profiter de l’existence de bons citoyens[20]. Le prêcheur humble et pondéré est remplacé par le prophète vigoureux. Après avoir montré que le bon citoyen est aussi le bon chrétien, il commence à parler un autre langage que le prêtre influencé par la rigueur thomiste. Florence est directement interpellée, et ses maux, exposés sans ambiguité: “Ô Florence, je ne peux pas te dire… Ô Florence, si je pouvais te dire toutes les choses… J’ai vu un infirme couvert de plaies de la tête aux pieds et un médecin avec plusieurs emplâtres est venu pour le guérir, il a commencé par la tête et il avance peu à peu.”[21]
Le citoyen bon et chrétien doit laisser le médecin[22] opérer, car il est destiné à réformer toute l’Italie. Mais, pour que cela arrive, il faut trouver une nouvelle forme de gouvernement et croire qu’il est possible de fonder une nouvelle cité: “Cherchez à donner une bonne forme à votre gouvernement et ne croyez pas qu’il soit impossible de la trouver.”[23] Plus loin, il déclare: “Ne doutez pas que nous voulions une cité de Dieu et non pas de Florence.”[24] Le projet religieux est donc un projet politique destiné à provoquer une révolution dans toute l’ltalie.
La succession des prédications montre la sincérité des propos de Savonarole. Ayant annoncé son plan pour la cité, il continue à discuter de sujets qui l’occupaient déjà avant la chute des Médicis: la charité, la bonté et l’obéissance à Dieu. Simplement, Dieu maintenant veut que les Florentins fassent des choses qui sont liées au destin qu’Il leur a réservé[25]. La réforme de l’Eglise[26] et celle de toute l’Italie devrait être l’œuvre des habitants de Florence et pour cela ils doivent faire confiance au prophète qui avait annoncé tant de choses. Mais si Savonarole croit en ses liens avec Dieu et au destin de Florence, il connaît aussi la nature de ses habitants et ses traditions. Si la cité doit être réformée, c’est aussi parce que l’on ne peut pas oublier son degré de corruption et la force de certaines habitudes néfastes, qui font partie de sa vie quotidienne. Ainsi, le prophète anticipe les critiques et avertit les sceptiques, qui pourraient dire, pour employer un dicton populaire, que l’on ne peut pas gouverner avec des prières[27]. Le premier pas de sa réforme est nécessairement moral.
Avant donc, d’annoncer ce qu’il faudrait faire, Savonarole cherche à montrer la place occupée par les coutumes et par la croyance populaire et comment, de fait, un royaume fondé selon la volonté de Dieu serait nécessairement plus fort que ceux qui sont uniquement basés sur la force humaine. En outre, inspirés par Dieu, les États pourront prétendre à une plus longue durée, ce qui est une preuve de la force de leurs fondements. Or, personne ne peut prétendre qu’un gouvernement inspiré par la divinité ait un degré majeur de caractéristiques humaines. Ce serait un gouvernement de forces spirituelles, ce qui prouve que les oraisons, bien comprises, sont un facteur décisif dans la formation d’un gouvernement victorieux.
Une fois terminée sa démonstration, le moine commence alors à énoncer les étapes de sa réforme morale. Pour lui, la Signoria qui viendrait gouverner Florence devrait s’attacher à réformer les coutumes. En premier lieu, elle ordonnerait de protéger le clerc dont l’influence sur le peuple est énorme et ne peut pas être négligée au moment de la réforme de la cité. En second lieu, les nouveaux gouverneurs devraient faire une loi “contraire à ce maudit vice de la sodomie”[28]. D’un autre côté, les tavernes, les jeux, les robes scandaleuses des femmes, voire la poésie, “et toutes les choses nocives à la santé de l’âme”[29], devraient être expulsées de la cité, pour qu’elle puisse effectivement se consacrer à Dieu et accomplir sa mission, qui lui amenerait non seulement la gloire et la santé, mais aussi richesses et pouvoir[30].
Le point de contact entre les aspects moraux de la réforme de Savonarole et sa réforme politique était la notion de bien commun. Pour le moine, viser les choses spirituelles, c’était en même temps vouloir le bien commun, contre les appétits particuliers: “Ô Florence, apprends à conserver le tout et fait attention au bien commun, plus qu’au bien particulier; et à celui qui s’occupera davantage du bien commun que de son propre bien, Dieu concédera les biens temporels et spirituels éternels.”[31] Cet appel au bien commun permet à Savonarole de mélanger des éléments de sa croyance dans la rénovation spirituelle de la cité à d’anciens topiques de la pensée républicaine florentine et, ainsi, de commencer à traiter directement de l’organisation des institutions. Le premier point important est le refus total de la tyrannie. Le prophète récupere un vieux lieu commun de la lutte de Florence contre les tyrannies du début du quattrocento, pour suggérer le chemin à suivre par ses concitoyens au moment ou tout semblait possible. En demandant aux citoyens d’ éviter de créer un tyran, le moine peut alors évoquer le modele à suivre dans les prochaines démarches: la république vénitienne.
Pourtant, avant d’ analyser son appel à imiter la république vénitienne, il faut considérer le chemin sinueux du parcours savonarolien. De fait, le refus de la tyrannie était un lieu commun de la pensée républicaine et, comme tel, capable de conquérir l’adhésion de beaucoup de membres de la communauté politique qui ne voulaient pas le retour d’un seul gouverneur au commandement de la cité. Mais ce refus était aussi un point connu de la doctrine de Saint Thomas et Savonarole ne l’ avait certainement pas oublié lorsqu’il a fait la proposition. Cette double clef explique comment il a pu, en même temps, proposer d’imiter Venise, comme nous le verrons, et d’élire la monarchie comme étant la meilleure forme de gouvernement, avec le Christ comme roi. Le prophète démontrait, ainsi, en même temps la fidélité à sa trajectoire et sa sensibilité aux désirs de la cité.
Récupérer l’image de Venise était, de ce point de vue, un geste plein de signification. Au beau milieu du tourbillon florentin, l’expérience vénitienne apparaissait comme un havre. C’est vers lui que le prophète voulait conduire son vaisseau:
[… ] j’ai dit les derniers jours que, lorsqu’un agent naturel veut faire une chose, il concentre toute son attention dans la forme de la chose. Voilà pourquoi j’ai dit que l’on devrait choisir une bonne forme pour votre gouvernement et, surtout, que personne n’imagine de se mettre au-dessus de tous, si l’on veut vivre en liberté. La forme qui a été ébauchée ne peut se soutenir si elle n’est pas mieux organisée. Je crois qu’il n’y a pas de meilleur exemple à suivre que celui des Vénitiens, qui doivent servir comme modèle, en évitant, cependant, quelques choses qui ne nous convient pas et dont nous n’avons pas besoin, comme, par exemple, le Doge[32].
Outre le choix d’un modèle, Savonarole voulait attaquer un autre point de l’histoire politique florentine. Pour cela, dans ses prédications, il répete qu’on ne devrait pas recourir à des punitions excessives et violentes. Au contraire, on devrait rechercher la concorde et la paix entre les citoyens, pour que tous puissent participer à la grande œuvre qui s’annonce: “[… ] La première chose que vous devrez faire, c’est promouvoir la paix universelle entre les citoyens, et toutes les choses anciennes devront être pardonnées et annulées”[33].
Le 28 décembre 1494, Savonarole prononce le dernier sermon de cette série, qui transforme le prêcheur inspiré en personnage déterminant dans la création d’une nouvelle cité, marquée par le rêve millénariste et par le désir de trouver une forme libre de gouvernement. Ce jour-là, le moine expliqua une nouvelle fois à ses concitoyens que le seul roi qu’il proposait, c’était le Christ[34] et que Florence était destinée à être la nouvelle Jérusalem[35]. Pour ceux qui en doutaient encore, il rappela que les prophéties antérieures avaient été accomplies et qu’il n’y avait aucune raison pour douter que les nouvelles puissem aussi devenir vraies. “Maintenant, notre bateau, comme je vous l’ai dit, demeure dans la mer et va en direction du port, c’est-à-dire, en direction du repos que Florence connaîtra apres ses tribulations.”[36] Les quatre années qui suivent, il est la figure centrale de la vie politique florentine, suscitant l’amour intense de ses partisans et la haine de ses opposants. Au lieu de la paix promise, Florence connaît alors une période d’agitation et d’incertitude, qui se terminera par la mort de son prophète.
Pendant ces années, Savonarole demeure fidèle à ce qu’il avait proposé ce mois de décembre. Son traité le plus directemem politique, écrit près de sa chute, réaffirme ce qu’il avait toujours dit: Florence était destinée à une forme républicaine de gouvernement et pour cela, elle devait mener une vie en harmonie interne et en consonance avec les valeurs chrétiennes les plus élevées. Son immersion dans la vie politique, cependant, allait lui montrer que les hommes, même devant un cadeau divin, sont réticents à abandonner leurs désirs et intérêts particuliers. Son projet d’une nouvelle Jérusalem le menera au bûcher, mais il continuera tout de même à influencer un groupe important de Florentins, qui se refuseront à croire qu’il ne s’agissait que d’un rêve[37]. Ainsi, cela mérite d’être cité comme l’une des manières de créer une cité pendant la Renaissance.
La constitution parfaite
La mort de Savonarole, loin de signifier la fin des débats sur le meilleur gouvernement pour la cité de Florence, ouvrit une discussion qui ne s’apaiserait qu’avec la consolidation du pouvoir des Médicis, après la défaite de la République florentine devant les Espagnols en 1530. Pendant la période qui suivit la tragique année 1498, Florence est la scène d’un intense questionnement sur le régime qu’elle devait adopter afin de retrouver son ancienne splendeur. Dans un certain sens, il s’agit d’une nouveauté, car le fait que les cités pensent leur identité en relation directe avec un événement du passé faisait que les réformes était envisagées de façon réservée par une bonne partie de la population, qui craignait de perdre la force et la protection d’un passé glorieux. Pour cela, les humanistes de la premiere moitié du quattrocento avaient accordé une grande attention à l’histoire de la cité et à la forme de ses institutions primitives, car il y avait un certain consensus sur le fait que tout changement devait marquer un retour à l’origine et non pas son abandon.
Les années de domination des idées de Savonarole servirent au contraire à démontrer qu’il était possible d’aborder le problème constitutionnel d’un autre point de vue. D’un côté, en regardant vers l’avenir, garanti non pas par la protection d’un événement inaugural, mais par le choix direct de Dieu. De l’autre, en cherchant des modèles qui ne se trouvaient pas nécessairement à l’intérieur de l’histoire de la cité, comme ce fut le cas du modèle constitutionnel vénitien, qui va nous intéresser de manière toute spéciale. Avant néanmoins de commencer à analyser certains aspects de ce débat, il faut considérer la spécificité des discussions, qui occupèrent la scène politique italienne dans la première moitié du XVIe siècle.
En réalité, lorsque nous parlons de réforme de la constitution, nous nous servons d’une certaine façon d’un anachronisme, car ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que le mot prend la signification que nous lui prêtons aujourd’hui. Dans les cités italiennes de la Renaissance il n’y avait pas une grande charte régissant les institutions, puisque la différence entre le gouvernement et l’État n’était pas toujours claire aux yeux des hommes politiques de I’époque. Les républiques d’alors possédaient un ensemble de lois, les Ordini, qui établissait le mode de fonctionnement de leurs organes de pouvoir, mais qui ne se constituait pas en un ordre juridique cohérent. II était souvent impossible à un visiteur d’une république comme Venise de comprendre correctement la structure de pouvoir en vigueur dans la cité. L’identité étant dépendante d’un ensemble de facteurs, qui allaient de la distribution du pouvoir aux liens que les communes prétendaient avoir avec quelques saints, comme Venise avec Saint Marc; seule l’expérience concrète des diverses articulations et des conflits entre les parties constitutives de la cité permettait de comprendre la nature du régime. À la disparition de Savonarole, il devint clair, à beaucoup des participants de la vie politique florentine, qu’il faudrait ordonner de nouveau le régime et que cela ne se ferait pas naturellement, sans de profondes modifications dans les structures de pouvoir que la cité avait héritées de la période antérieure, marquée par le contrôle des Médicis et par l’influence du millénarisme du “prophète désarmé”. Les débats sur la meilleure forme de gouvernement commencent à occuper une place spéciale dans la vie de la cité, surtout parce que la nouvelle réalité de la politique italienne semblait exiger une solution rapide aux problèmes laissés par la rupture du passé.
Il serait impossible de suivre tous les méandres d’une histoire complexe et pleine de retournements. Pendant les premières décennies du cinquecento, Florence connut des disputes intenses entre l’aristocratie conservatrice et les secteurs les plus populaires et assista au retour des Médicis, appuyés par la position forte de la famille dans la hiérarchie de l’Eglise Catholique[38]. Ce qui nous intéresse, c’est le fait que beaucoup d’acteurs de la vie politique italienne reconnurent qu’il était possible de créer une nouvelle réalité politique, une nouvelle cité, en trouvant un régime adéquat et capable de résister aux turbulences du présent. Il ne s’agissait pas d’ abandonner le passé, mais de créer l’avenir. Discuter sur les meilleures institutions pour la cité, c’était une manière de donner de la réalité au rêve d’une nouvelle cité, adaptée aux nouveaux temps et fidèle à sa tradition.
Bien que ce ne fût pas le seul chemin, le recours à l’exemple de Venise a servi à nourrir beaucoup des débats florentins sur la question. Comme l’a déjà montré Felix Gilbert, depuis le XVe siècle, une partie de l’aristocratie de Florence regardait Venise comme un modèle de régime capable de résister au passage du temps et à même de garantir la stabilité de ses institutions[39]. Dans un premier moment, cependant, Florence, qui avait vu naître avec Leonardo Bruni, une littérature d’éloge de la cité[40], ne s’effaça pas entièrement devant sa rivale. Ce ne fut qu’au tournant du siècle, quand les événements traumatiques vécus apres l’invasion des Français montrèrent la fragilité de l’organisation politique de la cité, que Venise devint le phare capable de guider les Florentins sur la difficile traversée vers une vie politique stable. Dès lors, la question du choix du modele à suivre commença à peupler presque tous les forums de débats sur la vie politique de la cité, des réunions convoquées par la signoria afin d’ entendre l’opinion des citoyens, les pratiche[41], jusqu’aux réunions des cercles littéraires et culturels auxquels participaient beaucoup d’hommes influents[42].
Après soixante ans de domination des Médicis, en 1494, il fut clair que certains organes, comme le Conseil des Soixante-dix et le Conseil des Cent, n’avaient été introduits que pour déguiser un pouvoir qui était devenu toujours plus autoritaire et qui visait à écarter une bonne partie de la population des organes de décision. Pour cela, du temps de Savonarole déjà, la première mesure prise pour s’opposer aux méthodes antérieures fut la création d’un nouveau conseil, qui garantissait effectivement une meilleure distribution du pouvoir et une participation accrue de segments variés de la population de la cité. II s’agissait du Consiglio Maggiore, organe qui concentrera les espoirs et les déceptions de la vie politique florentine de la premiere moitié du XVIe siècle[43].
Bien que l’introduction du Consiglio Maggiore n’ait pas été la seule modification apportée dans cette période à la politique de Florence, certains aspects de son impact nous aident à comprendre la stratégie imaginée par beaucoup d’acteurs politiques afin de créer une nouvelle cité à partir de la réforme du régime. II est évident qu’en concentrant notre attention sur un seul aspect du processus, nous courons le risque de laisser de côté des problèmes et des nuances qui donneraient une idée plus riche de notre problème. Cependant, comme nous ne pouvons pas nous lancer dans une longue étude sur la vie institutionnelle italienne de la période[44], il nous a semblé raisonnable de choisir un thème qui a occupé effectivement une place importante dans les débats et les actions et qui est demeuré un point central de la vie de la cité même lorsque s’est éloignée la possibilité de la refonder. Le Consiglio Maggiore était au yeux des Florentins le principal outil institutionnel pour faire avancer la cité vers son état idéal. Créé à l’image fidèle d’un conseil qui existait à Venise, il rendait effective l’influence du mythe vénitien dans la vie de Florence. La relation était si directe que même la salle dans laquelle se tenait le conseil dans la période républicaine jusqu’en 1512 était une réplique de la salle vénitienne. Pour comprendre son importance, il faut, à notre avis, ne pas négliger le fait que son impact était autant institutionnel que symbolique et, peut-être, que son efficacité imaginaire ait été plus grande que sa signification pratique. Cela devient plus clair lorsque nous nous interrogeons sur ses modes de fonctionnement. Comme le montre Gilbert:
Le Consiglio Maggiore n’était pas conçu comme un organe de délibération, mais il avait la fonction première de voter et d’élire. Sa tâche la plus importante était celle de choisir les membres des plusieurs offices exécutifs. Il y avait même une relation étroite entre le Consiglio Maggiore et la partie du gouvernement qui décidait des mesures politiques et s’occupait de leur exécution.[45]
Or, si avec lui une partie importante de la population a pu participer à la vie publique et exprimer ses opinions, le conseil néanmoins, au lieu de fournir une base solide à une vie politique plus stable, a été le moteur d’un conflit qui s’est amplifié au long des années et qui a fini par affaiblir la république florentine. Il s’y affrontait divers groupes sociaux, mais les Florentins tendaient à voir ces luttes à l’image de leurs anciennes disputes qui opposaient l’élément populaire aux “grands”[46]. Dans ce sens, l’observateur des changements institutionnels de l’époque ne doit pas oublier que la stratégie de construction d’un nouvel équilibre impliquait en même temps une stratégie de conservation d’éléments de l’histoire, qui fournissaient l’identité de la cité. Ainsi, l’étude du Consiglio Maggiore est éloquente, pour comprendre la nature de la cité rêvée, dans la mesure ou elle associe l’innovation et le passé populaire et républicain de Florence.
L’œuvre de Donato Giannotti (1492-1573) nous permet de mieux voir comment fonctionnait cette fluctuation entre le mythe et la réalité dans la pensée politique de l’époque. Formé pendant la période ou les débats sur la politique et les réformes furent les plus intenses à Florence, il serait, d’ après Albertini, le dernier des grands penseurs républicains du cinquecento florentin[47]. Dans les Orti Oricellari, on voit qu’il a connu Machiavel et beaucoup de ceux qui ont vécu l’échec de la république de Soderini. Cette fréquentation a laissé des marques profondes dans sa manière de voir les choses, et il a conservé beaucoup des grands thèmes de ces débats. Pourtant, ses propres expériences politiques l’amenèrent à poser de nouvelles questions et à examiner d’anciens problèmes sous de nouveaux angles. L’un des points qui l’intéressèrent le plus fut justement celui du régime mixte et de sa réalisation dans la république vénitienne.
Giannotti était probablement arrivé à cette préoccupation par le contact avec les anciennes générations d’hommes politiques et de penseurs qu’il avait fréquenté dans sa jeunesse. Entre 1520 et 1525, il fut professeur à Pise, pour ensuite aller à Padoue, ou il demeura jusqu’en 1526. L’une de ses œuvres les plus provocantes date de cette dernière période: Della Repúbblica de’ Viniziani1 [48]. En 1527, il revient à Florence pour participer à la nouvelle république qui s’installait après l’expulsion des Médicis, au poste de secrétaire qu’avait occupé Machiavel au début du siècle. II est probable que les connaissances acquises au contact de Venise lui donnèrent les qualités requises pour ce poste car, les trois années durant lesquelles on essaya une nouvelle fois d’implanter une république stable à Florence, Venise servit de référence et Giannotti put offrir une vision renouvelée en la matière, même si son traité ne fut publié qu’en 1540.
Originellement, le plan de cet ami de Machiavel était d’offrir au lecteur non vénitien une étude complète de la république à même de corriger les erreurs du traité de Marcantonio Sabellico qui, jusqu’alors, était la référence de ceux qui s’intéressaient à ce sujet. D’abord conçu en trois parties, le livre finit par se résumer à la première, ce qui, selon Pocock, le priva de l’amplitude théorique souhaitée par son auteur[49]. Le livre contient donc une analyse détaillée de la structure gouvernementale vénitienne. Nous ne connaissons que la première partie dans laquelle il y a une abondance de références aux circonstances de l’installation de Venise et de détails sur son histoire et sur les événements qui présidèrent à la conception de beaucoup de ses institutions les plus célèbres[50]. Il accorde enfin une place importante aux mécanismes de l’élection du Doge, qui intriguait ses contemporains.
Pour nous, il importe par le traitement réservé par Giannotti à des aspects habituellement négligés par ses contemporains. Ainsi, il décrit le système de gouvernement comme une pyramide, avec le Consiglio Grande à la base et le Doge au sommet. Au milieu, deux conseils garantissent l’équilibre: le Consiglio de’ Pregati et le Collegio. Le premier a une fonction délibérative qui ne sert pas seulement comme pont entre les divers fonctionnaires et le Doge, mais qui est aussi le lieu par excellence où était testée la capacité de commandement et d’ organisation des citoyens. La grande nouveauté dans les considérations de l’auteur, selon Gilbert, c’est qu’il se préoccupe de répondre à la question concernant les objectifs majeurs du gouvernement et soumet ses études des divers organes à cette logique, au lieu de se perdre dans des considérations détaillées concernant les diverses structures administratives, et de montrer leurs connexions[51].
Sa connaissance de l’œuvre d’Aristote, associée au réalisme de ses analyses de la situation florentine, explique la force de la pensée de ce républicain qui, s’il est influencé par Machiavel, a su s’éloigner des présupposés du maître, qui considérait Rome comme le modèle de république, pour élire Venise comme grande référence. L’un des points qui l’aident à formuler son admiration pour le modèle de la république du Nord, loin des considérations naîves de beaucoup de ses contemporains, qui ne regardaient que le mythe et non pas sa réalité, c’est le fait qu’il a su combiner l’idée selon laquelle un gouvernement doit nécessairement être en accord avec un principe unificateur avec l’hypothèse selon laquelle, à Venise, ce principe était la justice[52]. Giannotti va insister sur le fait que la force de Venise tient à la combinaison d’un groupe dirigeant stable, représenté par des règles strictes acceptées concernant l’attribution des postes dans la structure administrative et politique de la cité, avec un système juridique, qui garantissait une large protection à ceux qui se voyaient exclus des principaux postes de commandement. Même s’il ne caractérise pas dans cet écrit Venise comme un régime mixte, il est évident que la notion de moyen terme entre oligarchie et démocratie était présente à son esprit quand il cherchait à expliquer comment une aristocratie comme Venise pouvait se garantir contre les tumultes populaires.
Giannotti cherchait, en parlant de Venise, un outil constitutionnel pour réformer sa cité natale et, ainsi, créer un vrai régime républicain. En 1527, cette possibilité se matérialisa lors de l’expulsion des Médicis, affaiblis par la perte de leur pouvoir à Rome. Notre penseur se livra corps et âme à la tâche de construire une nouvelle cité, en participant aussi bien au premier gouvernement modéré de son ami Capponi, dont il était proche[53], qu’à la dernière phase, plus radicale, marquée par la présence de disciples de Savonarole[54], qu’il n’appréciait guère. A cette période, comme l’avait fait Machiavel lors des dernieres années du gouvernement Soderini, il lutta pour la constitution d’une milice populaire qui, selon lui, serait une pièce essentielle pour garantir la survie de la république. En outre, il essaya d’apporter aux débats intenses du moment ses connaissances acquises au contact de la réalité vénitienne. Le rapport de Giannotti avec la vie politique florentine montre combien les études constitutionnelles étaient loin d’ être une matière réservée aux seuls spécialistes. Connaître la nature d’autres régimes, les comprendre à la lumière des classiques, était une arme puissante au service d’une cause pratique et réaliste aux yeux des républicains convaincus. En 1530, ce rêve se défait. Florence est vaincue, et les Médicis, avec l’appui de troupes étrangeres, revinrent établir une principauté qui allait mettre fin à la longue tradition populaire de la cité. Notre auteur part en exil et continue jusqu’à la fin de sa vie à rêver de retourner dans sa ville natale et de contribuer à y ériger une vraie république. Son chef-d’œuvre, Della Repúbblica Fiorentina,[55] date des premières années de son exil.
Cette œuvre ne fut pas publiée pendant la vie de l’auteur – sa première édition date de 1721 -, on ne peut donc pas parler de son influence dans les débats de l’époque. Cependant, même si elle n’a pas été connue, elle montre clairement comment un penseur républicain qui, comme Machiavel, avait participé à la vie politique de sa cité, pensait la réforme de ses institutions à travers de profondes transformations constitutionnelles et la compréhension critique du passé. Giannotti se lance dans une étude qui, en se servant de ce qu’il avait appris avec la république du Nord, laisse de côté le caractère idéal d’une république stable pour se concentrer sur les aspects pratiques de la construction d’une constitution nouvelle pour Florence. L’aspect paradoxal de sa proposition, c’est que l’élément idéal, qui le conduit presque aux frontières de l’utopie, l’oblige aussi à une analyse réaliste des erreurs du passé et à une évaluation des possibilités du futur. Comme il le dit lui-même: “Mais en retournant à mon propos, je dis que trois choses m’ont amené à écrire sur la république florentine: c’est-à-dire, vouloir me délecter, voir s’approcher la ruine de la tyrannie présente et la nécessité de corriger les erreurs des deux gouvernements passés[56].”
Puisque nous ne pouvons pas entreprendre ici une étude détaillée de son œuvre, nous allons nous concentrer sur deux aspects qui nous semblent importants pour notre propos: le rôle de l’élément populaire et la théorie du gouvernement mixte[57]. En effet, ces deux éléments sont intimement liés et servent à conduire le lecteur au cœur du rêve républicain de ce penseur.
Le premier livre du Della Repúbblica Fiorentina est consacré à la thèse suivant laquelle le meilleur régime qui puisse exister est le régime mixte qui, s’il est réalisé, garantit effectivement la pérennité de la cité. Cependant, cette affirmation ne prend tout son sens que lorsque nous confrontons son choix théorique à ses analyses des raisons pour lesquelles Florence n’a pas été capable de conserver la liberté acquise dans son passé récent. En lignes générales, nous pouvons dire que Giannotti ne considère pas les expériences antérieures comme véritablement républicaines et va même jusqu’à dire que les gouvernements qui se présentaient comme républicains étaient des tyrannies déguisées[58]. La faute en était, selon lui, la malignité des dirigeants de Florence, les grandi, qu’il qualifie de loups, suivant une tradition qui vient de Dante[59].
Les membres de l’aristocratie florentine, même ceux qui avaient participé à des gouvernements à tendance populaire, étaient en vérité incapables de comprendre la vraie nature d’un gouvernement libre et avaient agi tyranniquement, ce qui permet à Giannotti d’exposer sa conception d’un gouvernement mixte, adapté à sa cité. Ici, le thème du Consiglio Maggiore revient avec force, car, selon notre auteur, il est essentiel de définir les bases sur lesquelles repose une république: “Le Consiglio grande doit être un agrégé composé des trois membres déjà décrits, c’est à dire, les grands, les moyens et le peuple[60].” L’État doit y être fondé, car autrement il est impossible de résister aux deux causes qui mènent les villes à la destruction: les désordres civils et les guerres extérieures[61]. Des trois éléments, cependant, un doit guider l’établissement des institutions. Giannotti cherche à montrer qu’une vraie république doit s’appuyer sur le peuple et non pas sur un prince et les membres de son aristocratie: “Mais, en retournant à mon propos, je conclus, au vu des raisons annoncées, que la république, dans la cité décrite, doit s’appuyer sur le peuple.”[62]
Cette base populaire le conduit à élaborer une théorie très proche de celle de la souveraineté, puisqu’elle établit clairement que le régime doit avoir un seigneur et qu’à partir de là, on peut construire tout I’édifice constitutionnel:
Ledit Consiglio doit être le seigneur de la cité, car, d’autre façon, la république ne s’appuierait pas sur le peuple. Il doit avoir le pouvoir sur ces actions qui sont essentielles dans les républiques et qui embrassent toute la force de l’État. Elles sont quatre: la création des magistrats, les délibérations de paix et de guerre, l’introduction des lois et les appels.[63]
Une cité vraiment bien ordonnée sera donc celle qui aura des bases saines et qui saura tirer les conséquences constitutionnelles du choix populaire. Giannotti discute, ainsi, en détails, ses plans pour la cité, et revient sur tous les points du débat qui a si longtemps dominé la vie politique Florentine. Pour conclure, son quatrième livre défend encore une fois l’institution d’une milice populaire pour garantir la stabilité du corps politique. Toutes ces analyses sont argumentées de manière soignée et il est facile d’y retrouver l’influence d’Aristote, en ce qui concerne certains aspects du gouvernement mixte, mais aussi de Machiavel, quand il s’agit de l’importance de la milice. Cependant, nous ne devons pas nous tromper. Giannotti avait pleinement conscience des difficultés qui s’opposaient à la réalisation de son projet de cité. D’un côté, parce qu’il ne méconnaissait pas la nature des hommes et, en cela, il était un disciple de Machiavel; de l’autre, parce qu’il savait que les bonnes institutions se heurtent souvent avec des coutumes et des intérêts trop enracinés pour pouvoir être abandonnés du jour au lendemain. De toute façon, il nous a légué un bel exemple de la manière dont les républicains du cinquecento imaginaient pouvoir créer une cité nouvelle en réformant sa constitution et en respectant son histoire et ses racines.
La cité idéale
Au XVIe siècle, I’œuvre de Thomas More fournit un paradigme qui a influencé toute la pensée politique moderne. Basée sur la critique féroce de certaines coutumes anglaises et de I’organisation la vie politique, I’Utopie a servi de modèle et de référence à un grand nombre de penseurs qui, partout en Europe, allaient imaginer de nouvelles formes de vie en commun, capables de délivrer les hommes des défauts et des tourments accumulés par une tradition qui semblait incapable d’offrir le bonheur souhaité par l’humanité. Avec le penseur anglais naîtrait un genre de réflexion politique qui, tout en gardant une relation évidente avec des œuvres classiques comme La République de Platon, connaîtrait un grand développement dans la modernité. Créer des modeles de cités, qui puissent dépasser les malheurs des formes historiques existantes, s’est transformé en une manière de s’opposer au présent et de proposer un meilleur avenir[64].
L’Italie reçut le livre de More à bras ouverts et, très rapidement, il s’y trouva des partisans parmi les penseurs qui ne se satisfaisaient pas des destinées de leur patrie[65]. Au début du XVIe siècle, Campanella allait produire d’ autres textes paradigmatiques du même genre, en écrivant La Cité du Soleil livre dans lequel il ancre dans la misère de sa terre natale, la Calabre, ses propositions pour une société meilleure. Cependant, avant que l’utopie ne connaisse le développement qu’elle a eu dans la modernité, quelques écrivains italiens du XVe siècle et du début du XVIe, se sont également appliqués à penser à ce qu’ils qualifiaient comme des “cités heureuses”. En vérité, il ne s’agissait pas du même type d’écrit que les textes modernes. Certains ont, néanmoins un intérêt particulier pour notre sujet. Les auteurs auxquels nous nous référons étaient pour la plupart des architectes, des philosophes ou des artistes, qui chercherent à trouver une voie pratique pour construire des cités qui puissent correspondre aux aspirations de leur temps. S’ils n’étaient pas contents de ce qu’ils voyaient, ils ne croyaient pas nécessaire de réformer totalement la société. Moins radicaux que leurs successeurs, ils trouvaient dans le passé des valeurs qui devaient être conservées dans une organisation sociale différente de celles qu’ils connaissaient. Parmi les écrivains qui s’approchent le plus de ce que nous cherchons, on trouve Leon Battista Alberti et Léonard de Vinci. D’ autres, comme Antonio Averlino et Francesco di Giorgio Martini, ont travaillé dans le même sens, mais leurs œuvres n’ont pas été publiées, ce qui en diminue l’intérêt pour notre recherche des nouvelles manières de créer une cité.
Leon Battista Alberti (1404-1472) était fils d’un exilé de Florence. Il grandit en connaissant le prix de ne pas pouvoir jouir de la reconnaissance de la communauté à laquelle on appartient. Son œuvre vaste, qui va de la littérature aux arts, de l’architecture à la philosophie, est empreinte de pessimisme, tempéré par la volonté de construire une cité qui puisse fournir un espace au plein développement des potentialités humaines. Plongé dans des préoccupations concernant la décadence de l’Italie et les difficultés de sa propre famille, il produit une œuvre pleine de nuances et de tensions, ce qui lui donne une place à part parmi les penseurs de son temps[66].
Comme le suggère Carlos Brandão[67], pour comprendre l’aventure d’Alberti, il faut envisager la nature complexe de son œuvre: sa capacité de fournir des solutions objectives et techniques à des problèmes qui dérivent de la nature conflictuelle des hommes. Ainsi, en même temps qu’il abandonne l’optimisme de la première phase de l’humanisme italien, dominée par l’éloge des cités et par la remémoration du passé glorieux de l’Italie, il cherche à montrer comment il est possible de retourner à la vieille virtu. Nous rencontrons, donc, à la même période où apparaissait la solution millénariste de Savonarole et ou la quête de la meilleure constitution possible occupait les penseurs politiques les plus fins, une tentative de créer une cité idéale basée sur une solution architectonique et urbanistique des impasses générées par les malheurs du temps et par l’incapacité des hommes à chercher l’harmonie et la paix.
La communauté préconisée par Alberti n’avait rien d’abstrait et ses objectifs étaient facilement compréhensibles aux yeux de ses contemporains: une vie honnête et heureuse, bene beateque vivendum. Pour atteindre ce palier supérieur de leur humanité, les hommes doivent parcourir un chemin qui se révele aride et difficile. Si peu de gens sont capables d’ abandonner le désir de bonheur, ceux qui savent comment l’atteindre som encore moins nombreux. Ce qu’Alberti veut montrer, c’est qu’il ne suffit pas de désirer le bonheur pour savoir comment y parvenir. Pris isolément, l’homme possède toutes les facultés pour chercher le bien, mais la matérialisation de sa vertu ne se fait jamais sans que I’on trouve la fortune et le côté obscur de sa nature. Pour cela, la quête d’un lieu idéal est toujours un combat, dont le résultat n’est jamais la somme simple de facteurs isolés. A ce sujet, nous devons rappeler qu’Alberti, contrairement à beaucoup d’utopistes postérieurs, n’imagine pas sa cité comme une petite communauté isolée et autosuffisante. Ce qu’il désire construire est tourné vers le monde et en étroite relation avec les formes de vie connues de ses contemporains. Pour comprendre la tâche que s’est proposée l’architecte, il faut combiner ses exigences éthiques à ses solutions architecturales[68]. Dans I libri della famiglia[69], il décrit en détail comment doivent se structurer les relations humaines qui sous-tendront la vie publique dans l’espace restreint de la maison. Conçu comme un traité moral, le livre fournit un point de passage intéressant entre les écrits philosophiques de notre auteur et ses livres supposés plus techniques. Un point important de son argumentation, qui est une constante dans son œuvre, c’est sa confiance dans la perfection de la nature, qui ne fait “rien de vicieux ou en manque”[70]. Cela se traduit dans l’idée d’harmonie qui sert de principe régulateur à toutes les choses naturelles:
Tout ce qui se manifeste dans la nature est réglé par les lois de l’harmonie (concinnitas). La nature n’a pas de désir plus ardent que celui de faire que tous ses produits soient absolument parfaits. Or, la perfection est impossible sans l’harmonie, car sans elle ce nécessaire accord supérieur entre les parties se perdrait[71].
Alberti avait confiance dans I’organisation équilibrée de la nature et il croyait qu’elle pouvait servir de paramètre à l’éducation des jeunes et à l’ensemble de l’organisation sociale[72]. II n’y a pas dans cette logique une nature qui doive être imitée par les arts et une nature propre au monde moral. La complémentarité entre les deux sphères fera que la recherche de la meilleure ville soit toujours une quête d’un monde meilleur pour les hommes, de la même manière que le souci des valeurs implique la quête de solutions pratiques pour la vie quotidienne et pour les espaces dans lesquels peuvent se manifester les vertus.
Cependant, le monde connaît aussi une autre face de la nature, qui s’exprime par la démesure, la violence et l’inattendu. Ce côté obscur est responsable des difficultés qu’il y a à instituer un projet de cité avec une pleine garantie de succes. Il ne suffit pas, pour le philosophe, de vouloir construire une cité meilleure, enseigner le bene beateque vivendum; il faut dépasser les obstacles que l’existence même impose aux hommes[73]. La fortune apparaît dans l’œuvre d’Alberti comme la représentation du côté ardu de la conquête par l’homme de son humanité même. Dans des écrits comme Momus, il donne libre cours à son imagination et exploite l’irrationalité du monde comme une toile de fond sur laquelle se déroule la vie. L’intéressant, cependant, c’est qu’il n’y a pas de contradiction entre ce livre pessimiste et les textes optimistes de l’auteur. Malgré l’insistance de certains commentateurs à séparer l’œuvre d’Alberti en deux parties différentes et incompatibles, il nous semble que le sens de ses investigations ne s’éclaircit que lorsque nous mettons côte à côte sa volonté de construire et sa peur de la fortune.
Ainsi, dans le prologue de I libri della famiglia, il nous avertit contre les dangers de cette déesse changeante et terrible, toujours prête à interrompre l’œuvre humaine afin de nous plonger dans un flot incessant d’ actes et de mots. Lui-même connaissait les revers de la vie, il avertit donc le lecteur sur le point de rentrer dans l’univers de ses considérations morales que des royaumes puissants comme celui des Macédoniens se détruisirent pour ne pas envisager que la fortune, agissant comme une force chaotique, profite de l’inattention des hommes qui ne savent pas préserver leurs œuvres de ses attaques[74]. Dans ce sens, fidèle à ce que pensaient les premiers humanistes, Alberti n’aborde jamais la fortune sans la mettre en confrontation avec la virtu. Son intention n’est donc pas d’ offrir une vision tragique de l’existence, mais il cherche les chemins qui mènent à une société puissante et juste. Pour cela, déclare-t-il, sans ambiguité: “Dans les choses civiles et dans la façon de vivre des hommes, nous estimerons que la raison vaut plus que la fortune, plus la prudence, que le hasard”[75]. A l’homme, qui pourrait se décourager dans la quête d’une vie meilleure, il montre que: “La fortune domine seulement ceux qui s’y soumettent.”[76]
La cité qu’Alberti prétend construire s’inspire de celles du passé, Rome en premier lieu, qui sut imposer ses lois et ses coutumes à tous les coins du monde. Mais la référence à l’histoire ne se fait pas comme à un modèle absolu, car si Rome a été puissante, cela était du à l’action concrète des hommes et non pas au hasard. Si l’imitation est nécessaire, ce qui doit être copié est I’extraordinaire virtu de ses habitants, qui surent ériger une cité puissante et libre. Il s’agit, donc, tout d’abord, d’une communauté éthique, capable de permettre aux hommes de mener une vie heureuse. Le long dialogue sur la famille développe les mécanismes de construction d’un ensemble de relations qui permettent à l’homme d’affronter les revers de la fortune et d’inscrire dans le monde la marque d’une vie en harmonie avec les forces positives de la nature.
L’originalité d’Alberti, cependant, ne se trouve pas dans le désir d’ériger une cité à l’image des vertus civiques des anciennes républiques. Dans ce sens, il s’inscrit dans le grand courant de la pensée politique républicaine qui se forme en Italie depuis le XVIe siècle[77]. La nouveauté est qu’il ne se préoccupe pas uniquement des institutions de la cité et de ses lois mais, comme nous l’avons déjà dit, de son existence matérielle. Construire une cité idéale a pour lui un sens concret: cela implique de faire surgir dans un lieu physique bien déterminé un ensemble architectonique qui doit abriter les hommes et faire qu’ils puissent chercher une vie meilleure. L’architecte joue alors un rôle privilégié, car il cherche à transformer l’harmonie de la nature en l’associant à la demeure humaine. II est l’interprète des concinnitas et le médiateur entre les désirs particuliers des hommes et l’utilité des biens publics. Pour cela, l’une des principales tâches du constructeur est de faire une cité qui dure, qui résiste aux attaques du temps. Comme le montre Brandão: “Art public et utile, l’Architecture est, simultanément, l’art de la prudence et du geste héroïque à travers lequel nous nous projetons au-delà de notre contingence, en destinant l’édifice davantage à l’Histoire qu’à l’espace vide du présent.”[78]
Du point de vue technique, l’emphase de l’oeuvre de ces constructeurs-là[79] retombe sur l’idée que le plan de la cité doit suivre le modèle radial. Il ne s’agit pas proprement d’une découverte, mais de l’actualisation d’un concept de Vitruve, qui était passé jusque là presque inaperçu. À la Renaissance, au contraire, la quête de l’harmonie et la nécessité de donner forme à un ensemble urbain capable de contenir une organisation sociale destinée à la durée et au bonheur amenèrent les penseurs à chercher une forme qui s’adapte à leurs idées sur la manière dont les hommes devraient vivre. Nous devons rappeler, néanmoins que pour ces concepteurs de cités idéales le meilleur régime était celui qui s’approchait de l’aristocratie. Si l’élément populaire devait avoir sa place dans le tissu urbain et participer à la vie publique, il ne devait pas pour autant être le pôle prépondérant. Léonard de Vinci imagina une cité dans laquelle la partie supérieure et circulaire serait réservée aux membres des classes supérieures et aux activités les plus nobles, tandis que les parties basses seraient employées par les artisans, par les commerçants et par les divers métiers manuels essentiels à la survie des habitants. Cette séparation de la cité en haut et bas reflétait sa conception de la composition du corps social et de la manière dont l’architecture devait contribuer à la rendre manifeste[80].
La réalisation du rêve albertien d’une cité idéale exigeait le mélange d’éléments comme la résistance au temps (firmitas), le plaisir (voluptas) et la fonctionnalité des formes (commoditas), envisageant de produire une harmonie semblable à celle que la nature confere aux organismes vivants. Dans le De re aedificatoria, Alberti concentre ses connaissances techniques sur l’édifications et les formes d’organisation de l’espace autant public que privé et enseigne aux hommes comment transformer en œuvre le désir d’une “cité heureuse”[81]. Tout au long du livre, nous apprenons des choses sur les matériaux à utiliser dans les diverses œuvres, sur le plan architectonique, sur l’exécution des travaux, sur les immeubles à caractère public et à caractère privé, sur la meilleure manière de les rendre beaux et résistant au temps et sur la façon de les restaurer. II s’agit d’un traité complet d’architecture, qui aura une grande répercussion pendant toute la Renaissance. Pour nous, il est intéressant d’étudier une conception de la cité dans laquelle on articule la quête du bene beateque viveindum avec les problèmes de construction d’un espace public à l’image de l’harmonie (concinnitas) qui doit présider toutes les actions menées à bien dans le monde des hommes.
Le livre IV du traité est, dans ce sens, un exemple privilégié de la manière de procéder d’Alberti. En première place, il cherche toujours une référence dans le passé qui puisse servir à acheminer sa réflexion.
En introduisant le problème de la situation de la cité, thème classique depuis Aristote, il affirme :
Tous ont besoin de la cité et des services publics qui en font partie. Si, nous appuyant sur l’opinion des philosophes, nous décidons que la raison et le fondement de l’existence de la cité résident dans le fait que ses habitants peuvent vivre avec tranquillité et de la façon la plus commode possible et sans être molestés, sans doute il convient de méditer de manière systématique sur la place ou on doit la construire, dans quelle position, sur quel périmètre.[82]
En analysant cependant les œuvres de certains philosophes du passé qui prêchaient une vie austère qui rendait difficile la vie des hommes en les forçant à pratiquer des vertus exigeantes, il conclut: “[… ] Le lieu ou l’on pense construire une cité doit être pourvu de tous les avantages et dépourvu de tous les désavantages possibles”[83]. Quant au projet urbanistique, il n’hésite pas affirmer: “Nous avons déjà éclairci précédemment que la meilleure sera la cité ayant un plan circulaire.”[84] De ces considérations plus générales il passe ensuite aux détails des diverses fonctions qui composent le tissu urbain. L’une d’elles, par exemple, est la défense et, pour cela, Alberti discourt longuement sur la meilleure manière de construire les murailles[85], en arrivant à la conclusion que l’on doit imiter Jérusalem, qui possède un contour sinueux.
Le traité est une belle combinaison d’éléments politiques, avec la conscience qu’une cité doit être construite dans le présent, avec les techniques et les matériaux disponibles. Si on cherche une cité idéale, elle doit avant tout être possible. Pour cela, devant les problèmes concrets qui se posent pour mener à terme son désir, il affirme: “Si donc il survient que les choses décrites ne répondent pas à nos nécessités, les défauts doivent être réparés avec adresse et travaillés de façon à chercher la commodité qui manque.”[86] Le lecteur se trouve ainsi devant un écrit qui est en même temps un précieux manuel de techniques de construction, un guide urbanistique et un écrit de philosophie morale. Tout cela au service de la création d’une cité nouvelle capable de répondre à notre souhait de bonheur permanent: bene beateque vivendum.
Traduit par Danielle Ortiz Blanchard
Notas
- Nicole Loraux, Les Enfants d’Athéna. La Découverte, Paris, 1990. ↑
- Hans Baron, The Crisis of the early Italian Renaissance. Princeton University Press, Princeton, 1966. ↑
- Nous traitons plus en détail ce problème dans Newton Bignotto, O tirano e a cidade, Discurso Editorial, São Paulo, 1998, chap. 3. ↑
- Ceci était le thème de notre texte: Newton Bignotto, “Maquiavel e o novo continente na política”, in Adauto Novaes, A descoberta do homem e do mundo, Cia. das Letras, São Paulo, 1998. ↑
- Sur la nature du savoir du fondateur, nous avons écrit dans: Newton Bignotto, “A solidão do legislador”, in Kriterion, Belo Horizonte, 1999, pp. 7-37. ↑
- Voir Savonarole, Sermons, écrits politiques et pieces du proces, Seuil, Paris, 1993, p.41. ↑
- Pour une biographie intéressante de Savonarole, voir: Ivan Cloulas, Savonarole, Fayard, Paris, 1994. ↑
- Sur les déploiements de cette réforme, voir: Domenico Oi Agresti, Sviluppi della Riforma Monastica Savonaroliana, L. S. Olschki, Florence, 1980. ↑
- Pour une édition brésilienne, voir: Savonarola, Tratado sobre o regime e o governo da cidade de Florença, éd. Vozes, Petrópolis, 1991. Pour le texte original, voir: Girolamo Savonarola, Prediche sopra Aggeo, Angelo Belardetti Editore, Rome, 1965. ↑
- Sur la question du millenium chez Savonarole, voir: Donald Weinstein, Savonarole et Florence, Calmann-Lévy, Paris, 1973, chap. V. ↑
- Ce sont justement les Prediche sopra Aggeo citées plus haut. ↑
- Savonarole, Prediche sopra Aggeo, Predica VIII, p. 121. ↑
- Voir par exemple sa Prédication XI, dans laquelle il affirme encore une fois: “Così ora nell’arca nostra sta el nostro Noe disputa com quelli che vi sono entrati della renovazione della Chiesa; perchè chi vi entra bisogna che sai buono instrumento per la renovazione… ‘: op. cit., p. 173. ↑
- Idem, p. 411. ↑
- Voir à ce sujet: Lorenzo Polizzoto, The Elect Nation. The Savonarolian Movement in Florence 1494-1545, Clarendon Press, Oxford, 1994. ↑
- Savonarola, Prediche sopra Aggeo, Predica IX, p. 143. ↑
- Idem, p. 144. ↑
- Idem, p. 145. ↑
- Idem, Predica X, p. 155. ↑
- ‘‘Fa dunque tu, che voi esser vero cristiano e buono cittadino della tua città, che tu non perda queste tre prerogative, anzi fa che commodi e sovenga la patria tua ed el prossimo tuo in ogni sua necessità’: Idem, p. 162. ↑
- Idem, p. 165. ↑
- “Popolo di Firenze, lascia fare pian piano e a poco a poco al medico.” Idem, p. 167. ↑
- Idem, p. 167. ↑
- Idem, p. 168. ↑
- “Intendi, dico, Firenze, stamane quello che io ti dico; intendi quello che Dio mi há inspirato. lo mi confido solo in Cristo, in quello chè io ti dico: e fallom chè buon per te, se lo farai” Prèdica XIII, p. 213. ↑
- “[… ] o Maiestà Divina, io ti supplico e prego che questa mattina sia il principio della renovazione della Chiesa’: Idem, p. 214. ↑
- “Proverbio è tra molti, benche sai mal detto, che li Stati non si governano coll’orazione ne co’pater-nostri’: Idem, p. 215. ↑
- Idem, p. 220. ↑
- Idem, p. 220. ↑
- “E diventerà Firenze piu ricca e più potente che mai sia stata e dilaterà lo imperio suo in molti luoghi.”Idem, p. 213. ↑
- Idem, p. 222. ↑
- Idem, pp. 225-226. ↑
- Idem, pp. 225-226. ↑
- “Sta con Cristo, Firenze, e non cercare altro capo Predica XXIII, p. 423. ↑
- Idem, p. 413. ↑
- Idem, p. 427. ↑
- La meilleure analyse des partisans de Savonarole se trouve dans le livre déjà cité de Polizzotto. ↑
- Pour suivre les débats de ces années-là, voir: RudolfVon Albertini, Firenze dalla repúbblíca al príncípato, Einaudi, Turin, 1970; Giovanni Silvano, ‘vívere Civile’ e ‘Governo misto’ a Firenze nel primo Cinquecento, Pàtron Editore, Bologne, 1985. ↑
- Felix Gilbert, “La costituzione veneziana nel pensiero político fiorentino”, in Machiavelli e il suo tempo, Il Mulino, Bologne, 1977, pp. 115-170. ↑
- A ce sujet, Hans Baron, ln Search of Florentine Civic Humanism, Princeton University Press, Princeton, 1988, vol. I, chap. 3. ↑
- Sur la nature de cette institution, voir: Felix Gilbert, “Le idee politiche a Firenze al tempo de Savonarola e Soderini”, in Machiavelli e il suo tempo, pp. 67-114. ↑
- A ce sujet, voir Rudolf Von Albertini, op. cit., pp. 67-85. ↑
- Sur l’importance du Consiglio Maggiore dans la vie politique florentine, voir: Felix Gilbert, Machiavelli e Guicciardini, Turin, Einaudi, 1970, chap. I. ↑
- Pour une analyse plus ample de la vie institutionnelle italienne au début du XVIe siècle, voir: Myron P. Gilmore, Il mondo dell’umanesimo, Florence, La nuova Italia Editrice, 1977, chap. IV. ↑
- Felix Gilbert, Machiavelli e Guicciardini, pp. 20-21. ↑
- Gilbert attire l’attention au grand nombre de termes qui décrivent ces deux groupes dans le vocabulaire politique du cinquecento. Idem, pp. 28-33. ↑
- Rudolf Von Albertini, op. cit., p. 165. ↑
- Donato Gianotti, “Della repúbblica de’ Viniziani”, in Opere Politiche, Marzorati, Milan, 1974, vol. 1, pp. 27-152. ↑
- .G.A. Pocock, The machiavellian moment, Princeton University Press, Princeton, 1975, p. 275. ↑
- Donato Giannotti, “Della repúbblica de’ Viniziani”, pp. 55-62. ↑
- Felix Gilbert, Machiavelli e il suo tempo, p. 149. ↑
- Donato Giannotti, op. cit., pp. 119-151. ↑
- Rudolf Von Albertini, op. cit., pp. 149-150. ↑
- A ce sujet, voir Lorenzo Polizzotto, op. cit., chap. 7. ↑
- Donato Giannotti, “Della Repúbblica Fiorentina”, in Opere Politiche, pp. 181-370. Nous possédons aujourd’hui une édition critique préparée par Giovanni Silvano: Donato Giannotti, Repúbblica Fiorentina, Librairie Droz, Geneve, 1990. Dans cette édition, beaucoup de doutes référents au texte original ont été annulés par la confrontation des divers manuscrits existants. ↑
- Nos références ici sont celles de l’édition critique de G. Silvano: Donato Giannotti, Repúbblica Fiorentina, Chap. I, p. 76. ↑
- Pour une étude d’ensemble de la pensée de Giannotti, voir: Giorgio Cadoni, L’utopia repubblicana di Donato Giannotti, Giuffre Editore, Milan, 1978. En outre, les analyses de Pocock consacrées à l’auteur som assez détaillées et extrêmement lucides. J.G.A. Pocock, op. cit., p. 272-320. ↑
- “Essendo, adunque, le tre dette cose, ne’due governi paspsati, in potestà de’pochi, seguit che i pochi, et non gli assai, erano signori della città et percià non era in essa que/la libertà che a molti pareva avere. Ma venendo piu particolari, parliamo alquanto della signoria et monstriamo quanto la sua autorità fusse tirannica et violenta.” Donato Giannotti, Repúbblica Fiorentina, Livre II, chap. 3, p. 108. ↑
- Idem, Livre II, chap. 11, pp. 128-129. ↑
- Idem, Livre III, chap. 5, p. 166. ↑
- Idem, Livre III, chap. 1, p. 153. ↑
- Idem, Livre III, chap. 4, p. 165. ↑
- Idem, Livre III, chap. 5, p. 169. ↑
- Pour une histoire de l’utopie, voir: F. Manuel, Utopian Thought in the Western World, Basil Blackwell, Oxford, 1979. ↑
- Voir: F. Manuel, op. cit., chap. 4. ↑
- Une étude riche de l’œuvre d’Alberti en Portugais se trouve dans Carlos Brandão, Quid Tum? O combate da arte em Leon Battista Alberti, Ed. de la UFMG, Belo Horizonte. Nous lui devons beaucoup pour la présentation de notre lecture de l’œuvre de Alberti. ↑
- Idem, item 6.3.1. ↑
- Pour la liaison entre éthique et esthétique chez Alberti, voir: Carlos Brandão, op. cit., chap. 6. ↑
- Leon BattistamAlberti, I libri della famiglia, Einaudi, Turin, 1969. ↑
- Idem, p. 74. ↑
- Leon Battista Alberti, L’Architettura, Edizioni Il Polifilo, Milan, 1989, IX, 5, pp. 452-453. ↑
- Comme l’observe Brandão: “Dans cette conception, la nature et ses lois peuvent et doivent être reconnues dans leur intimité, puisqu’elles sont dociles aux possibilités humaines: homme et univers se concilient dans une mathesis universalis. Micro et macrocosme sont analogues, comme Dieu et l’artiste. Plus que cela, la Nature est la projection de ce qui est una priori et un état naturel humain.” Op. cit. 3.1. ↑
- “D’un côté, de la rigueur et de l’harmonie. D’un autre, du mouvement incessant, de la démesure et de l’imprudence, de la conscience de l’absurdité de la vie et de la nécessité de la mort. Deux natures opposées dans la pensée albertienne et, selon elles, des attitudes contradictoires sont développées par l’homme, car contradictoire et pleine de folie est la réalité entiere.” Idem, 3.2. ↑
- “[… ] la fortuna consuoi immanissimi flutti, ov sé stessi abandonano, infrange e somergele fomiglie”. Alberti, op. cit., p. 11. ↑
- Idem, p. 11. ↑
- Idem, p. 7. ↑
- A ce sujet, voir: H. Baron, “Leon Battista Alberti as an Heir and Critic of Florentine Civic Humanism”, in ln Search of Florentine Civic Humanism, chap. 10, vol. 1. ↑
- Carlos Brandão, op. cit., Item 4. 3. 3. ↑
- Garin se réfere ainsi à Alberti: “Senza dubbio per l’Alberti edificare hd significato larghissimo: edifica chi fo chiese e fortezze, chi regola fiumi e costruisce dighe o porti, chi bonifica e argina le acque, ma anche chi fobbrica navi e machine da guerra.” Eugenia Garin, Scienza e vita civile nel Rinascimento italiano, Laterza, Roma, 1985, p. 50. ↑
- Voir à ce sujet: E. Garin, op. cit., p. 33. ↑
- Nous suivons ici l’édition italienne de son traité: Leon Battista Alberti, L’Architettura, Edizioni il Polifilo, Milan, 1989. ↑
- Idem, Livre IV, p. 144. ↑
- Idem, Livre IV, p. 148. ↑
- Idem, Livre IV, p. 155. ↑
- “[… ] le mura siano un ‘ottima difesa per la vita e la libertà dei cittadini’ idem, Livre IV, p. 155. ↑
- Idem, Livre IV, p. 171. ↑